Simon Bourdeau: jouer à collaborer

ArticleCréativité

Maitre d’atelier à La Factry et comme professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, Simon Bourdeau s’intéresse dans ses recherches aux dynamiques de la collaboration en milieu de travail. Il utilise la méthode Lego Serious Play pour aider les équipes à travailler ensemble.

Comment en êtes-vous venu à réfléchir à la créativité et à la collaboration en entreprise?

Je viens du domaine des technologies de l’information, donc pas d’un domaine «créatif». Mais, comme prof, j’ai une grande curiosité pour les innovations pédagogiques—c’est d’ailleurs ce qui m’a poussé vers la méthode Lego Serious Play, dont on reparlera. Et sinon, depuis plusieurs années, je m’intéresse à travers mes recherches aux dynamiques d’équipe. Mon mémoire à la fin des années 1990 portait sur les effets de la diversité dans les équipes de travail. Donc la collaboration a toujours été sous-jacente à mes champs d’intérêt.

Particulièrement, depuis que la pandémie a explosé, et avec elle les plateformes collaboratives, on se rend compte des bénéfices du travail collaboratif. Le fait d’avoir une vision 360 degrés d’une situation permet, par exemple, de gérer les risques, de créer de la richesse, de réussir sur différents marchés.

De quelle manière la collaboration peut-elle favoriser l’émergence d’un contexte créatif?

C’est toute la dynamique d’échanges de perspectives et de confrontation d’idées qui s’installe qui permet de faciliter la créativité, du moins quand c’est fait de façon respectueuse, avec un objectif clair, dans un temps déterminé, et quand chacune des personnes impliquées connait son apport, ses forces et celles des autres.

Mais la collaboration, c’est un moyen, ce n’est pas une fin.

Justement: selon vous, quelle est l’erreur la plus commune des organisations qui tentent d’augmenter la collaboration dans leur équipe?

Une des erreurs courantes, c’est de ne pas savoir pourquoi on collabore. C’est quoi l’objectif? Est-ce qu’on pourrait arriver au même résultat sans collaborer? Il faut se ramener au grand pourquoi.

Et il faut être conscient des particularités de la collaboration. Collaborer, ça prend du temps, ça prend de l’argent, ça prend des efforts, et ça ne donne pas toujours les résultats escomptés.

Il faut aussi une ou des personnes responsables de coordonner les activités, une espèce de chef d’orchestre qui s’occupe du travail d’articulation aussi bien logistique que relationnel: fixer les rencontres, réserver les locaux, planifier les sujets de discussion… C’est un travail très important, et souvent dans l’ombre.

Comme maitre d’atelier sur la créativité, vous travaillez notamment avec un outil plutôt original: Lego Serious Play, ou LSP. En quelques mots, pouvez-vous nous résumer ce dont il s’agit?

Lego Serious Play, c’est une méthode de réflexion, de communication et de résolution de problèmes pour des groupes qui travaillent sur des situations réelles, en temps réel. En gros, ça amène les gens à se parler, à réfléchir ensemble et à s’écouter.

C’est un processus en quatre étapes: d’abord, on pose un défi relié à la question qui nous occupe (il faut prendre le temps de bien scénariser les ateliers pour aller chercher le maximum de résultats en lien avec ce qu’on cherche); ensuite, chaque personne a quelques minutes pour construire son modèle Lego (souvent, pour briser la glace, on commence par leur faire construire une tour qui les représente); puis, chacun partage ce que son modèle signifie, les idées qu’il y a dedans, etc.; et finalement, on a une discussion, pendant laquelle le groupe peut lancer des pistes de réflexion, poser des questions…

C’est une méthode qui permet aux gens de bien formuler leurs idées, de réfléchir un peu, mais pas trop, puis ça leur donne le temps d’être écoutés, et le temps d’écouter. Ça a l’air simple, mais c’est vraiment la force de cet outil.

Qu’est-ce qui a attiré votre intérêt dans cette méthode?

Les Lego [rires]. Plus sérieusement, j’ai commencé à enseigner au début des années 2000, et je me suis dit: ce n’est pas vrai que je vais donner des cours magistraux. Je cherchais des approches pédagogiques expérientielles. J’ai fini par essayer un exercice Lego en classe. Ce n’était pas la méthode LSP, mais, déjà, ça avait été super. Après, je suis tombé sur LSP. Je me suis rendu compte de la puissance de cet outil-là—qui a d’ailleurs des fondements scientifiques très intéressants dont je ne ferai pas l’énumération ici—, et je suis allé me former auprès des deux super-formateurs Lego Serious Play, à Copenhague.

Ce qui m’a parlé, c’est la puissance de l’outil, son côté universel, et le fait qu’il permet aux gens de s’exprimer et d’être écoutés dans un environnement sécuritaire. Et il peut être utilisé dans plein de contextes. Hier soir, justement, je parlais avec un collègue qui s’en va animer un atelier LSP dans une classe de deuxième année du primaire pour motiver les enfants à s’exprimer.

De quelle manière le jeu aide-t-il les équipes à mieux collaborer?

Quand tu joues, même si tu te trompes, ce n’est pas grave. Habituellement, quand on est dans un milieu de travail et qu’on fait une erreur, il y a des conséquences. Dans un jeu comme Lego, il n’y a pas de règles, le but n’est pas d’arriver le premier, d’avoir le plus de points… On est juste là pour jouer, pour expérimenter.

Comparativement à d’autres médiums artistiques qui peuvent être plus gênants, par exemple le dessin ou la pâte à modeler, avec Lego Serious Play, tout le monde utilise les mêmes blocs, et on se fiche de ta construction: c’est ce que tu vas raconter qui compte.

LSP, c’est un langage. Le fait de s’exprimer avec des blocs aplanit les différences hiérarchiques, culturelles, sectorielles… Tu peux avoir des gens en ressources humaines, des ingénieurs, des gens qui ont des réalités et des vocabulaires différents et, comme la méthode utilise des métaphores (les constructions) et dépersonnalise les idées (on parle de notre modèle, pas de nous), ils vont vite avoir une compréhension commune, un langage commun.

Et c’est un formidable outil pour apprendre à se connaitre. Platon disait quelque chose comme: on peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation. Et il n’y a rien de plus vrai. Les choix qu’on fait dans notre construction, la manière dont on va décrire notre modèle, ça en dit tellement sur nous, c’est complètement fou.

Que diriez-vous à quelqu’un qui doute qu’un jeu puisse apporter des résultats concrets et sérieux?

Je ne suis pas là pour prêcher: je n’ai jamais voulu forcer qui que ce soit, parce que ça ne sert à rien d’entrer là-dedans à reculons. Mais je dirais que la meilleure manière de faire fondre les appréhensions d’une personne, c’est de lui faire construire un truc. J’ai toujours des blocs dans mon sac à dos. Alors je lui fais construire quelque chose de simple, et je lui demande de me décrire ce qu’elle a construit, je la fais jaser un peu. Au bout de cinq minutes, généralement, les gens voient que le jeu est efficace pour parler de plein de choses. Donc il faut l’essayer concrètement.

Comme maitre d’atelier à La Factry, quelle partie du processus de formation ou d’accompagnement vous allume le plus, et pourquoi?

Bien sûr, j’aime animer des ateliers, mais toute la partie en amont, le brassage d’idées avec l’équipe de La Factry, ça m’allume beaucoup. Dans la résolution de problème, la problématisation est souvent la partie la plus difficile et la plus importante, et La Factry est hyperforte sur ce bout-là. Il y a un souci de cerner vraiment le besoin, et de brainstormer sur la manière d’y répondre en personnalisant des solutions génériques. C’est l’incarnation du travail collaboratif, de la créativité et de la prise de risque. C’est un travail de l’ombre qui fait la particularité de La Factry et des ateliers, je trouve.

Personnellement, avez-vous un truc ou un rituel infaillible pour vous replacer dans un état d’esprit créatif même dans le tourbillon du quotidien?

Respirer. Juste ça.

Des fois, quand on est trop collé sur la routine, qu’on a des objectifs, de la pression, on est dans le détail, et on oublie de respirer. On oublie de prendre du recul et de se rappeler qui on est, pourquoi on est là, et ce qu’on pourrait faire différemment. Et respirer permet de nous ramener à ce niveau-là.

Rectangle_Factry

Factry

L'équipe de la Factry

Article connexe

Vous avez aimé cet article ? Lisez celui-ci…