Sophie Tarnowska : l’importance de l’inclusion et de l’écoute

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Collaboratrice de longue date de la Factry, Sophie Tarnowska donne des formations aux jeunes et aux nouveaux arrivants dans le cadre des programmes Pause et Canada créatif, en plus de parfois enseigner aux professionnels. Passionnée de la communication au parcours éclectique, elle croit en l’importance de l’inclusion et de l’écoute bienveillante pour faire avancer le monde

Parlez-nous un peu de la collaboration que vous entretenez avec la Factry depuis de nombreuses années.

La collaboration a commencé avant les programmes Pause et Canada créatif, quand la Factry venait de commencer et développait son offre. Je faisais des ateliers pour des clients. Pour le programme Pause, j’enseigne des ateliers pour les jeunes, un sur “l’écoute profonde”, et l’autre est un atelier sur les l’ikigai, [la méthode japonaise pour] trouver ta mission de vie. Pause vise les jeunes qui cherchent à explorer les possibilités de leur avenir professionnel. C’est un programme de leadership créatif qui donne les outils aux jeunes pour accéder au marché du travail et mieux se comprendre eux-même.

Et je fais aussi des formations pour Canada créatif, un programme sur cinq semaines qui vise quant à lui les nouveaux arrivants, et permet de les aider à développer leur pensée créative. Ce programme mise sur l’inclusion, une valeur très importante pour moi.

Vous enseignez un atelier sur l’écoute. Pourquoi est-ce si important ?

On est dans une société où tout le monde veut être entendu mais personne n’apprend à écouter. Regardez ce qui se passe sur les réseaux sociaux par exemple. On ne met pas l’accent sur comment écouter les gens, ni sur comment comprendre les émotions des autres. J’enseigne ça aux jeunes à la Factry. Je leur demande : étiez-vous écoutés par les membres de votre famille ? Tout de suite, on sent une remise en question, les jeunes ne sont pas sûrs d’être eux-mêmes à l’écoute. C’est une question qui ébranle.

L’écoute est complexe à développer. Souvent les gens sont inconfortables, et confondent l’inconfort avec le danger. C’est OK d’être inconfortable dans certaines situations, et il faut apprendre aux gens à gérer leur inconfort.  Un exemple concret : comment puis-je parler à mon boss qui me fait des commentaires désobligeants ? Une façon d’approcher le supérieur en question serait de lui dire : “que tu me traites de telle ou telle chose, je trouve ça difficile. Aurais-tu un petit 15min pour qu’on s’en parle ?” Il faut demander d’être écouté, et de dire “voici ce que ça prendrait”. Des fois, la formulation et le ton d’une question peuvent changer la réponse.

Vos parcours professionnel et personnel sont très diversifiés. Comment vous aident-t-ils avec votre travail à la Factry ?

Je me suis vraiment sentie interpellée par la mission de la Factry et par ses programmes. J’ai travaillé dans le corporatif jusqu’en 2015, et à ce moment j’ai fondé une OBNL qui s’appelle WeDoSomething pendant la crise des réfugiés syriens. L’idée c’était d’utiliser des levées de fonds pour rassembler les gens qui créent les nouvelles, et ceux qui consomment les nouvelles et se sentent impuissants. Jusqu’à la pandémie, en 2020, j’ai fait des soirées pour lever des fonds pour, par exemple, les communautés autochtones, les réfugiés, les demandeurs d’asile, ou encore les personnes en état d’itinérance. Après la pandémie, je me suis éloignée des levées de fond et j’ai développé Versus, un programme sur la communication inclusive.

En mettant ces deux mondes ensemble, j’ai conçu le travail que je fais maintenant, notamment à la Factry. J’enseigne la communication inclusive, la littératie numérique et comment communiquer avec des gens différents de nous. J’outille des individus à savoir communiquer avec des gens qui paraissent être différents de culture ou de genre. C’est pour cela que j’aime travailler avec la Factry, avec qui j’ai des valeurs en commun : la curiosité, la volonté d’innover dans les entreprises, l’inclusion.

Quand j’enseigne à la Factry, je pense que j’amène mon expertise et mon vécu et j’apprends de mes étudiants. Moi-même, je comprends ce sentiment d’arriver quelque part et de ne pas trouver sa place, d’abord en tant qu’immigrante au Canada. Mon père était un réfugié polonais, j’ai vécu entre autres en Italie, en Argentine, dans les îles Caymans…Je suis arrivée en 1978 au Canada, puis je suis repartie plusieurs fois, mon père travaillait comme correspondant à l’agence de presse Reuters. Et j’ai également pris du temps à trouver ma place dans le milieu du travail, un peu comme les jeunes de Pause : j’ai travaillé en communication, en journalisme, en pharma.

Qu’est-ce qui vous allume le plus de votre travail, et pourquoi ?

J’adore cette idée de créer un sentiment de curiosité, de susciter le changement. On voit comment les gens sont ouverts quand on leur offre de se découvrir. Ça les fait évoluer.

Les gens m’intéressent, j’imagine que c’est mon côté journaliste. J’observe, je suis curieuse de comprendre les gens, de connaître mes étudiant·e·s, d’être en symbiose avec eux, pas juste d’enseigner. Ça me touche beaucoup d’avoir le privilège de côtoyer les jeunes et les nouveaux arrivants. Peu de gens ont la chance de parler entre personnes issues de différentes cultures. Ça me stimule beaucoup.

Quelle est votre vision de la créativité ?

Ce qui m’intéresse dans la créativité, c’est d’oublier la hiérarchie à laquelle on est habitué, d’oublier son statut, de laisser tomber la peur de se tromper, de pouvoir faire des bêtises, de dire ce qui nous passe par la tête. Parce que les gens rebondissent sur ce qu’on dit, parce qu’on peut semer quelque chose. Donc, la créativité c’est de se permettre de penser à voix haute, sans filtre. Et aussi de ne pas penser que c’est à toi d’avoir toutes les réponses et de résoudre tous les problèmes. La créativité c’est fondamentalement une collaboration.

Avez-vous un truc pour vous replacer dans un état d’esprit créatif ?

Il y a une idée de permission dans le fait d’être créatif. Puis-je faire des bêtises? Me tromper ? Beaucoup de gens attendent la permission de la part des autres. Mais aussi, je pense qu’il faut avoir des contraintes pour être créatif. Si tu as trop de choix et d’options, ça ne va plus. On peut être plus créatif en 30 minutes qu’en trois jours.

Pour moi, lire des revues ou des choses non connectées à mon travail me permet de faire des connexions, de penser à de nouvelles idées.

Vous entrevoyez quoi comme futur pour les professionnels et la relève ?

On est à un moment charnière : pour la première fois il y a cinq générations sur le marché du travail. Je suis rassurée par la génération Z car elle se questionne sur des choses sur lesquelles on ne se questionnait pas. Les nouvelles générations suscitent des conversations, on parle de santé mentale dans l’espace public, d’inclusion dans l’embauche. Dans toute la détresse du monde, je vois une lueur. Les cultures internes dans les entreprises changent. Chaque entreprise avec laquelle je travaille se pose des questions qu’elle ne se posait pas avant la pandémie, notamment sur le télétravail.

Les gens se donnent la permission de faire des demandes, et je trouve ça révolutionnaire. L’élite essaie de trouver de nouvelles façons d’agir, d’inclure de nouveaux concepts, de nouvelles personnes. Personnellement, je pense que tous ces gens bénéficieraient d’un cours sur l’écoute, notamment sur comment écouter ces nouvelles générations.

Laurence Niosi

Journaliste