La règle de l’art

ArticleCréativité

Mon entreprise est née parce que le milieu culturel avait grand besoin d’espaces pour faire la promotion d’évènements en tout genre. À l’époque, pourtant, je n’étais pas entrepreneur.

Fraichement sorti de l’Université de Montréal, je venais de terminer des études en art. Comme projet final, je présentais une performance multidisciplinaire intitulée Hom-Let, pour laquelle j’avais fabriqué une affiche sérigraphiée que j’avais placardée à certains endroits stratégiques en ville.

Sans le savoir, j’avais ainsi créé la première campagne de ce qui deviendrait Publicité Sauvage… et je venais de déclencher un mouvement qui allait pousser Montréal à modifier les règles du jeu en matière d’affichage.

Archives Publicité Sauvage

Ce n’est qu’après une première arrestation que j’ai découvert la règlementation municipale sur l’affichage: dans le feu de l’action, plein de la fougue de ma jeunesse—j’avais 22 ans à l’époque—, j’ai appris à mes dépens que briser une règle pouvait avoir des répercussions importantes sur ma vie.

Le règlement montréalais interdisant l’affichage tel que je le pratiquais découlait d’une loi, instaurée en 1878 pour empêcher les communistes de faire la promotion de leurs idées. Le fait qu’un tel règlement serve à m’empêcher de faire la promotion d’un évènement artistique me semblait difficile à justifier, dans les années 1990; malgré ma bonne foi, je n’arrivais pas à y adhérer. La mission que je m’étais donnée—défendre les intérêts du milieu culturel—m’apparaissait plus importante encore que l’observation d’une règle caduque. À mes yeux, les artistes devaient avoir le droit de s’autopromouvoir sur une plateforme abordable.

J’ai donc continué de coller des affiches, et j’ai même proposé à certain·e·s collègues de m’occuper des leurs. J’accumulais les infractions, les convocations à la cour et les amendes à payer. Pour compenser le cout très élevé des sanctions, j’ai instauré un système de cotisations, que je facturais à ma clientèle.

Après quelques années à fonctionner plus ou moins clandestinement, j’ai voulu faire de ma pratique une entreprise officielle, reconnue. En 1992, j’ai donc entamé une démarche pour faire modifier la règlementation en vigueur. Avec l’aide d’un cabinet juridique, j’ai déposé une requête au service du contentieux de la Ville de Montréal, un document accompagné de quelque 60 lettres de soutien signées par ma clientèle.

En 1994, le nouveau programme d’urbanisme de la Ville est finalement venu modifier le règlement municipal: il était désormais permis d’afficher sur les palissades des chantiers de construction du grand Montréal. Publicité Sauvage pouvait enfin se développer et déployer sa mission de soutenir les organismes culturels tout en embellissant la ville.

Mon histoire et celle de mon entreprise montrent que, dans certains contextes, le bien commun peut exiger d’enfreindre une règle. Pour arriver à faire bouger les choses, il faut du courage, de la passion, de la persévérance et, souvent, le soutien d’une communauté. Les lois, les règlements et les codes qu’on se donne doivent évoluer constamment afin de toujours servir les besoins de notre société, qui, elle aussi, ne cesse de se transformer.

Nous utilisons l’orthographe modernisée.

Baudoin Wart

Artiste et fondateur de Publicité Sauvage

Il est un artiste multidisciplinaire et le fondateur créatif de l’entreprise d’affichage Publicité Sauvage, dont on retrouve le travail un peu partout sur les panneaux des chantiers de construction à Montréal.