Karim Djinko: en état d’éveil

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Responsable partenariats et développement des réseaux pour le nouveau programme Canada créatif de la Factry, Karim Djinko a passé une partie de sa carrière dans un univers médiatique à haute vélocité. Ancien journaliste, entre autres à Radio-Canada, puis chef de la radio des Nations unies à Bamako, il s’est reconverti en coach professionnel et a cofondé la boite sp2 coaching. Karim Djinko est donc particulièrement bien placé pour témoigner de l’importance de développer des soft skills, quand on travaille dans un environnement qui change radicalement.

Vous avez été embauché par la Factry pour Canada créatif, un programme de formation destiné aux personnes immigrantes et francophones qui permet de développer les «compétences du futur»—c’est-à-dire des qualités devenues essentielles pour naviguer sur le marché du travail canadien. Quel est votre rôle au sein du projet?

Canada créatif a été conçu au Québec par la Factry, mais c’est un programme pancanadien, pensé pour être transposé dans toutes les provinces. Ce n’est pas du prêt-à-porter: on travaille en partenariat avec les organismes provinciaux pour qu’ils s’approprient non seulement l’aspect logistique des formations, mais aussi le recrutement des différentes cohortes. On veut adapter le programme aux particularités de chaque province.

Je tisse donc des liens avec les acteurs locaux, et je cherche aussi des facilitateurs et des formateurs issus des territoires visés. On vit dans le même pays, mais chaque province a ses particularités, les besoins de chacune ne sont pas toujours les mêmes, et la réalité des personnes immigrantes aux quatre coins du pays non plus.

Je suis également en contact avec des entreprises qui comptent beaucoup de nouveaux arrivants dans leur rang pour qu’elles fassent de ce programme leur outil et qu’elles considèrent même inscrire leurs employés dans des cohortes privées.

Vous êtes un fervent défenseur de l’utilité des soft skills comme celles enseignées dans le programme Canada créatif (communication, collaboration, résolution de problème, adaptabilité, créativité et innovation). Pourquoi?

Les établissements traditionnels enseignent l’expertise technique, mais très peu les soft skills. Or c’est elles qu’on voit en premier. Pour les nouveaux arrivants, c’est doublement important.

Souvent, en entrevue, les gens sont tellement stressés de démontrer qu’ils sont compétents qu’ils oublient de démontrer qu’ils sont des humains qui peuvent s’intégrer dans un environnement de travail. En définitive, oui, on embauche une personne pour ses habiletés techniques, mais on embauche surtout un humain avec qui on va avoir à composer au quotidien et qui va devoir s’insérer au mieux dans une dynamique de groupe.

Les soft skills permettent de travailler sur la confiance en soi—de soigner sa communication avec les autres, de se sentir capable de résoudre des problèmes auxquels on n’a jamais été confronté en fédérant de nouvelles énergies, etc.

Je dis souvent que ce ne sont pas des soft skills, mais des power skills—ce sont des superpouvoirs qui nous permettent, ultimement, de faire valoir qui on est, ce qu’on sait faire, et comment on peut travailler avec les autres.

Parmi les compétences auxquelles s’attarde Canada créatif, y en a-t-il qui vous interpellent plus que les autres?

Un des moteurs qui me motive à travailler sur ce projet, c’est que je sais pour l’avoir vécu que si, au jour 1 de mon immigration, j’avais pu travailler sur ces aptitudes, si j’avais eu accès à cette formation-là, je serais allé encore plus loin, plus rapidement.

Les compétences du futur sont interreliées, mais je dirais que, pour moi, la communication est une clé importante, qui ouvre plusieurs portes.

Aussi, un des ingrédients centraux du programme, c’est la possibilité de réseauter [une partie du cours de 60 heures se fait en personne] et d’apprendre comment le faire dans notre nouveau contexte. Il est possible que vous ayez un superbe réseau là d’où vous venez, mais ici, tout est à refaire. Par où commencer? C’est une des choses les plus déstabilisantes dans le processus d’immigration.

Après, quand on approche les gens, il faut savoir communiquer avec eux. Il faut se présenter, il faut comprendre comment eux comprennent les choses, et être capable de s’adapter.

Qu’est-ce que l’adaptabilité, pour vous?

C’est réviser sans cesse ce qu’on est en train de faire à l’aune de la réalité qu’on vit. Réévaluer pour ajuster. Réévaluer pour bonifier. C’est une qualité d’éveil. C’est ne pas s’endormir sur ses lauriers, c’est être à l’écoute de son environnement… Que ce soit dans nos relations interpersonnelles ou dans nos projets au travail, tout évolue constamment et il faut demeurer attentif.

Diriez-vous que, pour avancer, il ne s’agit pas tant d’aller vite que d’être constamment en mouvement?

Tout à fait. Quand les choses vont bien, qu’on a l’impression d’avoir trouvé une zone de confort, on peut avoir le réflexe très humain de se dire: ça y est, je peux prendre une pause. Mais il faut demeurer alerte.

Dans un contexte qui évolue constamment, ce qui était valable hier ne l’est peut-être plus aujourd’hui. C’est mieux d’éviter les recettes toutes faites.

Ce qui veut dire qu’il faut également savoir vivre avec les conséquences si ce qu’on tente ne donne pas le résultat escompté. Quand on n’essaie rien, on ne se trompe jamais, mais on se prive d’un monde de possibilités. Il faut se donner la possibilité d’échouer, c’est comme ça qu’on avance.

Vous êtes issu du monde des médias et, comme coach, vous vous êtes spécialisé dans ce secteur. Or, on le sait, internet et les nouvelles technologies de l’information ont bouleversé le modèle d’affaires et forcent toute l’industrie à se réinventer. L’univers médiatique est-il un bon microcosme pour étudier la rapidité avec laquelle on peut être amené·e à se transformer?

Les médias sont un microcosme pour comprendre non seulement la transformation profonde des processus de travail, l’impact des technologies, mais aussi la nécessité de s’adapter.

J’ai travaillé comme journaliste à l’époque où on faxait encore nos reportages, souvent écrits à la main, et ils étaient retranscrits par des secrétaires… Aujourd’hui, en plus de saisir nos propres textes, on peut parfois même les mettre directement en ligne. De la même manière, pour un même sujet de reportage, il y avait le gars de la radio, la fille de la télé, le gars de l’écrit, avec en plus chacun son caméraman, son technicien, etc. Aujourd’hui, si tu es journaliste à la radio, on te demande aussi une intervention à la télé et un texte pour le site web. Ça veut dire de développer de nouvelles compétences. Les journalistes ont dû s’adapter à différents médiums.

Défi supplémentaire: il faut produire des reportages sur des évènements qui sont dorénavant diffusés en direct. Et donc il faut trouver une manière d’apporter une véritable valeur ajoutée à ce qu’on fait si on veut capter l’attention des gens.

Et on parle ici de transformations survenues en 15 ans à peine…

On peut voir ça comme de nouvelles contraintes, mais, globalement, les technologies ont représenté une très grande avancée pour les médias. Le contexte actuel oblige tout le monde à être plus créatif. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est excitant.

Socialement, le perfectionnisme est vu comme une qualité, alors que l’impatience est vue comme un défaut. Or, quand on parle d’innovation et de créativité, est-ce qu’il faut renverser ces perceptions?

En anglais, on dit «think, but don’t overthink». Il y a un moment pour réfléchir et peaufiner, et il y a un moment pour se lancer. Il faut développer notre capacité à se lancer sans avoir l’assurance de taper dans le mille du premier coup.

Quand on immigre loin de sa famille et de sa société, on doit, parfois pour la première fois de notre vie, prendre des décisions majeures par nous-mêmes. Canada créatif aide à s’assumer.

Pour reprendre l’exemple de l’univers médiatique, quand on travaille aux informations et que notre reportage est prévu pour le radiojournal de 17h, on ne se demande pas si on va être prêt: on doit être prêt. À un moment donné, on plonge, on n’a pas le choix.

Quand on est entrepreneur ou travailleur autonome, par contre, notre entreprise, c’est nous. Alors on peut avoir tendance à se dire: si j’échoue, c’est moi, c’est ma boite qui échoue. Mais au cinéma, on aime les personnages qui ont des failles, ça les humanise.

Ça revient à développer sa confiance en soi: il faut se connaitre et savoir ce qu’on vaut. Il ne faut pas surjouer nos accomplissements, comme il ne faut pas surjouer nos échecs.

On est à la Factry, alors on s’intéresse plus largement à la créativité: personnellement, avez-vous un truc ou un rituel infaillible pour vous replacer dans un état d’esprit créatif même dans le tourbillon du quotidien?

Chaque jour, je prends un moment pour évaluer ce sur quoi je travaille, comment ça se passe, et ce que je pourrais faire différemment.

Je demande souvent aux gestionnaires que j’accompagne en tant que coach de me montrer leur agenda. La majorité d’entre eux sont occupés par une multitude de rencontres, toute la journée. Je leur demande: mais tu réfléchis quand?

Lorsqu’on est en train de faire, on n’est pas toujours en train de réfléchir. C’est pourtant par ce travail de recul et de projection qu’on est capable de sortir des sentiers battus. Il s’agit d’un état d’esprit qui se cultive et qu’il faut pratiquer pour en faire un mécanisme automatique.

De quelle manière le programme Canada créatif peut-il aider les individus à prendre ce pas de recul?

Canada créatif, justement, c’est un espace pour se déposer. Quand on est nouvellement arrivé, on doit généralement se mettre en action très rapidement pour recréer notre réseau, trouver un travail, un logement, etc. Mais on ne peut pas passer d’une société à l’autre en pensant que ça passera comme une lettre à la poste: il y a des arrimages qui sont souples et naturels, et il y en a d’autres qui demandent ajustement et réflexion.

Si on ne prend jamais le pas de recul nécessaire, on peut entrer dans un engrenage. Quand on tombe et qu’on se relève sans chercher à comprendre pourquoi on est tombé, on risque de refaire la même erreur. Si on est au Canada et que ça ne fonctionne pas comme on le voudrait sur le marché du travail, il faut prendre le temps de se demander ce qu’on a besoin de faire différemment, où on peut s’ajuster, quelles autres compétences on peut mobiliser…

Pour prendre le meilleur envol possible, il faut se poser.

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