Bâtir sur des fondations solides : l’importance des softs skills en ingénierie et en construction

ArticleImpact social

Les entreprises clientes

Pour la toute première fois, la Factry a invité deux entreprises québécoises de première importance à travailler ensemble sur un projet d’accélérateur de compétences: l’École de technologie supérieure (ÉTS), cheffe de file en formation d’ingénieur·e·s, et Pomerleau, leader de la construction au Québec. Ce projet précurseur et unique a impliqué aussi une cohorte de Pausien·ne·s de la Factry, ainsi que la communauté crie de Waskaganish.

L’enjeu

Le monde du travail est en pleine transformation. D’ici 2025, 85 millions d’emplois dans le monde pourraient être modifiés ou éliminés, et 97 millions de nouveaux emplois pourraient voir le jour. Un constat qui invite les entreprises, publiques ou privées, les organisations et les individus à requalifier leurs compétences pour faire face à ce défi.

Pour bien traverser ces transformations, la maitrise et l’acquisition de compétences transversales—créativité, communication, pensée critique, résolution de problèmes, collaboration—sont désormais indispensables, autant pour les gestionnaires que pour les employé·e·s.

Le secteur de la construction et de l’ingénierie n’échappe pas à ces mutations, bien sûr. D’où l’importance de miser sur l’innovation pour s’adapter aux nouvelles exigences qui vont bouleverser cette industrie. Il est ainsi primordial, pour les travailleur·euse·s actuel·le·s comme pour les étudiant·e·s en ingénierie, de se former dès maintenant aux compétences créatives. «Face à des défis qui ne sont pas toujours de nature technique, la capacité à apporter des solutions créatives, à penser en dehors des cadres traditionnels et à adopter une perspective holistique devient cruciale», explique Vincent Melanson, gérant Innovation chez Pomerleau.

En janvier dernier, Pomerleau a proposé un défi ambitieux, en collaboration avec la communauté crie de Waskaganish, en chargeant la Factry d’encadrer un projet intégrateur commun impliquant des cohortes de l’ÉTS et de la Factry.

La proposition

Par l’intermédiaire des compétences transversales, le projet consistait à concevoir, collectivement, une résidence pour ainé·e·s dans la communauté crie de Waskaganish. Ce lieu de loisirs et d’échange devait répondre aux critères techniques d’un milieu de vie adapté aux traditions autochtones. Pour accomplir ce projet intégrateur à teneur sociale, le même cahier des charges (à quelques nuances près), comprenant des considérations architecturales, logistiques, socioculturelles et durables, a été remis par la Factry aux groupes suivants:

– deux cohortes d’étudiant·e·s de l’ÉTS: une cohorte encadrée par des coachs de la Factry lors d’ateliers de cocréation, et l’autre non accompagnée. Le but: observer le rôle du design thinking dans l’élaboration d’un projet mené par des étudiant·e·s de même niveau. Ce travail constitue leur projet de fin d’étude, présenté devant l’équipe pédagogique de l’ÉTS;
– des employés·e·s de Pomerleau, aux prises avec la nécessité d’adapter leur travail aux nouvelles normes qui se profilent à moyen terme dans ce secteur;
– une cohorte de Pausien·ne·s, habitué·e·s à travailler en ateliers de cocréation lors desquels leurs compétences transversales sont régulièrement sollicitées;
– des membres de la communauté crie de Waskaganish et d’autres communautés, à différentes étapes du projet, afin que le projet respecte leurs valeurs et leurs aspirations.

L’ambition de la Factry: tester l’impact de ses ateliers de formation auprès des jeunes étudiant·e·s de l’ÉTS, en fin d’apprentissage et à la veille d’entrer sur le marché du travail. «Nous avons besoin de changer nos façons d’enseigner et d’intégrer les soft skills à la formation académique, pour pousser plus loin l’innovation», explique Hélène Godin, présidente-directrice générale, cofondatrice et cheffe de la création à la Factry.

À l’annonce des résultats de ces séances de travail, des recommandations ont été formulées par chaque groupe d’apprenant·e·s et d’employés·e·s, dans le but d’améliorer l’enseignement des compétences du futur.

Le travail

L’équipe d’innovation au contenu de la Factry a conçu quatre ateliers expérientiels et interactifs pour amener les participant·e·s des différents groupes à développer leurs compétences créatives autour d’un projet commun.

Atelier «Empathie et cadrage»
Grâce à un cercle d’écoute animé par Kayleigh Spencer, étudiante en génie civil et Crie de la Nation de Mistissini, les participant·e·s ont été amené·e·s à réfléchir à la réalité et aux besoins de la nation crie. Un second cercle d’écoute a été dirigé par Sylvain Marseguerra, spécialiste en relations autochtones chez Pomerleau.

Atelier «Idéation»
Plusieurs techniques d’idéation ont été encadrées par la Factry auprès des apprenant·e·s du projet Accélérateur de compétences.

Atelier «Communication et storytelling»
Des apprenant·e·s de l’ÉTS et les Pausien·ne·s ont travaillé sur des exercices de communication et de storytelling.

Atelier «Test des idées et rétroaction»
Cette étape, cruciale dans le travail du design thinking, a permis de réfléchir à des concepts de désirabilité, de viabilité et de faisabilité, et de bonifier les propositions finales. Chaque équipe a ensuite présenté ses idées devant neuf membres de différentes communautés autochtones.

En parallèle, deux laboratoires, impliquant des apprenant·e·s de l’ÉTS et des Pausien·ne·s, ont permis de développer un maillage entre des participant·e·s volontaires.

Durant ces ateliers, qui se sont déroulés sur plusieurs jours, les étudiant·e·s de l’ÉTS ont démontré un engagement et un enthousiasme remarquables. Cette toute première expérience dans l’apprentissage des compétences du futur s’est avérée très positive. Les représentant·e·s de Pomerleau, pour leur part, ont porté le brief de cet exigeant projet fictif.

Le résultat

Ce travail de collaboration et de cocréation a permis d’aboutir à un projet consensuel et évolutif, imaginé à la suite d’une exploration de la réalité sociale et de la culture autochtone. «Ce maillage entre différents participant·e·s a eu un effet très bénéfique sur les idées qui sont ressorties, dit Hélène Godin. Surtout concernant le processus de validation durant lequel les apprenant·e·s et les représentant·e·s autochtones ont pu échanger leurs idées et les valider. Au début, les jeunes étaient tous et toutes un peu intimidé·e·s par cet exercice, mais les Cri·e·s les ont incité·e·s à oser s’exprimer.»

Un enthousiasme repris en écho par les apprenant·e·s. «Les rencontres avec des personnes de la communauté autochtone furent géniales et tellement riches. C’était une manière de comprendre les usagers et usagères et d’incarner le processus de réconciliation», a notamment dit un Pausien à la suite de son expérience. Durant la présentation des idées, certain·e·s Autochtones ont, en effet, apporté une plus-value en expliquant l’importance de l’art dans le milieu de vie ou celle de l’utilisation de matériaux nobles comme le bois dans une résidence pour ainé·e·s.

Pour des étudiant·e·s qui ont pu expérimenter le design thinking et l’intégration des soft skills dans le développement de leur projet de fin d’étude, le résultat s’est avéré être au-delà des attentes. «Les organisateurs et organisatrices de la Factry viennent d’une autre sphère, s’est exprimé un étudiant de l’ÉTS. Ils et elles nous ont fait nous questionner sur ce qui est important pour l’humain: comment se sentent les usager·ère·s? Ils nous ont fait voir des projets à l’endroit ou à l’envers, dans leur globalité, pour nous faire sortir de notre linéarité.»

Concrètement, la résidence est construite avec des matériaux durables, et certifiée LEED v4 avec une empreinte carbone réduite. Elle met en place des stratégies qui favorisent l’économie circulaire dans le respect de la diversité, de l’équité et de l’inclusion. Mais ce qui la distingue radicalement des autres projets du genre, c’est que la communauté crie a été consultée en amont afin que la résidence reflète les besoins spécifiques de ses usager·ère·s. «Des échanges et des rencontres devraient avoir lieu dans tous les projets d’ingénierie. Les usager·ère·s devraient être impliqué·e·s à toutes les étapes. Il faut que les architectes, mais aussi les ingénieur·e·s, s’informent auprès des usager·ère·s», a souligné une apprenante de l’ÉTS.

En marge du projet, les apprenant·e·s de l’ÉTS ont pu vivre plusieurs expériences à la suite du projet Accélérateur de compétences:

– Une découverte de la culture autochtone: certain·e·s apprenant·e·s de l’ÉTS parlent d’une «plongée dans la réalité et la culture autochtone».

– Une créativité renforcée: les compétences du futur apportent de nombreux outils aux métiers du génie et de la construction. «Les ateliers de storytelling et de coaching de Pomerleau ont été très utiles, et nous avons reçu certains conseils qui, je crois, resteront longtemps dans nos esprits.»

– Un bien meilleur travail en équipe: «En génie, nous ne sommes pas dans une posture propice à une relation d’écoute, d’entraide, de compréhension des besoins, du contexte, mais dans une posture de calculs et de résultats. Les ateliers de la Factry m’ont rappelé, à moi, mais aussi aux membres de l’équipe, l’importance du travail en équipe.»

– Une meilleure compréhension des défis en construction: selon les témoignages, les échanges ont été stimulants pour les apprenant·e·s qui ont pris conscience de la nécessité de développer aussi des compétences humaines pour trouver des solutions aux approches intégrées et à l’ingénierie globale.

– Davantage de femmes en génie: dans cette filière, les femmes sont généralement minoritaires. Or elles étaient surreprésentées durant les ateliers. Cette formation aurait comme effet collatéral d’attirer plus de femmes dans ces métiers.

Intégrer les compétences du futur pour les ingénieur·e·s de demain est plus crucial que jamais: «En plus des compétences techniques traditionnelles, il est primordial pour les futur·e·s ingénieur·e·s de développer des compétences sociales, dit Vincent Melanson, gérant Innovation chez Pomerleau. La capacité à communiquer, collaborer et comprendre les besoins variés des parties prenantes est essentielle.»

De ce projet Accélérateur de compétence il ressort, enfin, que la qualité, la pertinence et l’innovation des idées qui sont sorties ont été renforcées par les ateliers de cocréation. Et que les apprenant·e·s ont retenu l’importance de communiquer, de collaborer et de résoudre des problèmes dans l’écoute et le respect.

Nathalie Schneider

Nathalie Schneider est journaliste spécialisée dans le plein air et le tourisme d’aventure et compte à son actif un très grand nombre de reportages de terrain. Elle est chroniqueuse plein air notamment au Devoir et occasionnellement à la radio de Radio-Canada. Elle s’intéresse également à des sujets reliés à la société, à l’art et à l’environnement.