Cédric Martineau et l’innovation organisée

ArticleDesign thinking

Entrepreneur atypique, Cédric Martineau a évolué dans le monde du design industriel et des agences créatives tout en étant ébéniste et sculpteur professionnel. Son parcours lui a permis de développer une expertise en organisation et en gestion de la créativité des entreprises dans un contexte d’innovation. Aujourd’hui chef de pratique en Design Thinking à la Factry et cofondateur de Carverinno, il transmet sa passion des méthodologies qui permettent aux organisations d’innover de manière plus systématique, et moins risquée.

Pour vous, qu’est-ce qu’une personne, une équipe, une organisation créative?

Être créatif, c’est accepter de se tromper, voire d’échouer, pour être en mesure d’apprendre et d’avancer vers ses objectifs. C’est prendre la décision courageuse d’investir en innovation en travaillant avec les meilleures approches qui permettent de réduire les risques de se tromper.

Pour un groupe de personnes, c’est aussi de s’aligner sur une mission, sur la vision de l’organisation qui les réunit, et de valoriser les différences de chacun en les voyant comme des forces, et non comme une source de problèmes. Il faut créer différents «safe space créatifs» où les gens se sentiront libres d’explorer et où ils donneront le meilleur d’eux-mêmes pour résoudre les grands enjeux, ou concrétiser les grandes ambitions de l’organisation.

Comment en êtes-vous venu à réfléchir à la créativité?

La vie m’a amené à réconcilier la dichotomie entre les arts et les sciences appliquées. J’ai cheminé en tant qu’entrepreneur (comme designer-ébéniste) et artiste sculpteur durant 15 ans en parallèle, sans me rendre compte que mes deux passions pouvaient se rejoindre sous le thème de la gestion de l’innovation et du design thinking appliqué.

J’ai acquis la certitude que la création d’objets innovants en adéquation avec les besoins des utilisateurs apporte du bonheur. Et j’ai fini par réaliser que ce concept-là pouvait s’appliquer à toutes sortes de créations et de stratégies d’entreprises.

De quelles manières votre pratique artistique vous aide-t-elle à enseigner la créativité à des gens qui ne sont pas des artistes et qui n’aspirent pas à l’être?

Mes 15 ans d’expérience comme professeur de sculpture sur bois m’ont appris que la créativité n’est pas issue d’un talent inné, mais qu’il s’agit d’une compétence qui se développe quand on ose la pratiquer. Je suis aujourd’hui capable d’être créatif «sur demande», car j’applique simplement ce que j’enseigne.

Une organisation qui souhaite elle aussi «sculpter» quelque chose—c’est-à-dire innover, faire les choses différemment—doit prendre conscience que la créativité tant recherchée peut très bien provenir de son équipe, et pas nécessairement d’une agence externe offrant des services «créatifs».

Mon travail consiste à favoriser une créativité organisée et productive, et à prouver que les méthodes créatives que j’utilise s’apprennent rapidement. Une fois qu’on l’a vécu, on conserve une posture créative et on a confiance qu’il est possible d’innover de manière prédictive, projet après projet. Autrement dit, j’enseigne la créativité comme une forme de science appliquée, possible à chaque projet, et non comme un don du ciel qu’on peut seulement espérer avoir dans son équipe ou en soi.

Vos spécialités, c’est ce qu’on appelle le design thinking et le design sprint. Pouvez-vous, en quelques mots, décrire de quoi il s’agit?

Le design thinking est une pensée centrée sur les utilisateurs et non sur les compétences créatives des gens impliqués dans le projet. Selon ce principe, dès qu’on fait face à un problème complexe, la clé est d’abord et avant tout de comprendre les besoins de l’utilisateur concerné et de tester nos idées auprès de lui ou d’elle avant d’investir dans le développement de la solution qu’on pense être la bonne.

Quant au design sprint, il s’agit d’une recette claire pour appliquer le design thinking à un problème complexe. Planifier un design sprint autour d’une question permet d’établir un agenda concret avec des échéanciers, de constituer une équipe et un cheminement précis avec des ateliers qui serviront à définir une solution qui sera ensuite testée auprès des utilisateurs ciblés. Avant même de savoir quelle sera cette solution innovante, quand on s’engage dans un design sprint, on sait qu’on aura quelque chose à tester: on a la certitude d’avoir un résultat concret en bout de piste.

Quel est votre rôle pendant les sprints?

Je fais d’abord un diagnostic pour évaluer le degré de complexité du défi qu’on nous soumet, car certains problèmes peuvent être réglés autrement que par un design sprint. Ensuite, j’applique une recette (une série d’ateliers comportant chacun une série d’exercices) qu’on a peaufinée depuis plus de trois ans, et j’anime les ateliers collaboratifs pour aider les équipes à innover rapidement et simplement.

Je m’occupe aussi du prototypage et des tests, que je synthétise à la fin pour orienter la suite du projet: à cette étape, on peut valider ou invalider les hypothèses qu’avait l’équipe. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le sprint ne permet pas de développer la solution fonctionnelle, mais de valider que la solution imaginée répond bien aux désirs de l’utilisateur. J’aide les équipes à créer un prototype qui, grâce aux tests, permet de faire des apprentissages payants.

De quelle manière le design sprint favorise-t-il l’innovation?

La réponse courte serait de dire qu’un design sprint accélère et minimise le risque associé aux projets d’innovation.

Changer nos manières de faire, ou inventer quelque chose de nouveau, peut être épeurant parce que ça demande du temps et de l’énergie, et qu’on n’a pas de garantie que ça règlera notre problème. Le design sprint aide à innover parce que c’est une méthode qui fait émerger l’intelligence collective d’une équipe et qui permet d’aboutir rapidement à une idée de solution qu’on peut ensuite tester avant d’investir du temps et de l’argent dans une mesure qui ne répond pas aux attentes.

Comme entraineur en créativité, quelle partie du processus de formation ou d’accompagnement vous allume le plus, et pourquoi?

J’aime observer l’énergie des groupes qui sont enfin sortis du flou entourant leur projet et qui discutent passionnément de la suite des choses. J’aime observer la stupéfaction de ceux et celles qui doutaient au départ, et qui sont souvent émerveillés par les résultats et la quantité de travail accompli en si peu de temps.

Souvent, les mots manquent aux chargés de projet lorsqu’ils et elles obtiennent le bilan d’une série d’ateliers et qu’ils et elles réalisent que le projet est bien entamé et qu’ils et elles ont aussi développé une relation privilégiée avec leurs collègues pour la suite.

Aussi, je dirais que le monde a plus que jamais besoin d’apprendre à être créatif en équipe pour faire face aux enjeux environnementaux. Je suis persuadé que l’approche du design thinking et celle du design sprint pourraient ultimement nous aider à sauver la planète, un projet complexe à la fois. C’est ce qui me parle le plus.

Personnellement, avez-vous un truc ou un rituel infaillible pour vous replacer dans un état d’esprit créatif même dans le tourbillon du quotidien?

J’ai des citations qui me poussent à l’action, ou qui me permettent d’arrêter de picosser sur un projet!

Par exemple, ma citation préférée en innovation provient de Reid Hoffman, un des fondateurs de LinkedIn, qui a dit: «Si vous n’êtes pas embarrassé par la première version de votre produit, c’est que vous l’avez livrée trop tard!» Pour moi, ça permet d’enlever la pression de produire la bonne idée et ça m’autorise simplement à commencer.

Mon autre truc est de me rappeler le nombre d’idées que je croyais bonnes au départ et qui se sont finalement révélées mauvaises. Tout ce qu’on conçoit, invente, imagine n’est qu’une hypothèse à valider tant et aussi longtemps que l’utilisateur concerné ne l’a pas testée.

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