Caroline Ducharme: questions de courage

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Comme directrice de création–expérience de marque à la Factry, Caroline Ducharme est à la fois la gardienne de «l’esprit Factry» et celle qui en repousse constamment les limites. Infiniment curieuse, elle encourage tout le monde à sortir de ses réflexes habituels grâce à sa personnalité allergique aux idées reçues.

Comment définissez-vous votre rôle à la Factry?

Je suis responsable de l’expérience qu’ont toutes les personnes qui entrent en contact avec la marque! Je m’occupe de son effet global sur les gens, que ce soit dans nos locaux, pendant les ateliers en ligne ou à travers nos communications.

Par exemple, quand une entreprise sollicite des formations sur mesure, je contribue à faire en sorte qu’on offre des parcours spécialement pensés pour atteindre les objectifs du client, et qui sont aussi originaux et personnalisés.

Parmi les dix ingrédients de la créativité identifiés par la Factry, «Briser une règle» est un de vos préférés. Pourquoi?

Cet ingrédient-là, c’est ma façon d’être et de vivre dans le monde.

Paradoxalement, je suis quelqu’un d’extrêmement docile—l’autorité fonctionne très bien avec moi. Je suis une très bonne citoyenne, une très bonne employée… MAIS… Sans le vouloir, j’ai un petit côté rebelle qui s’exprime à travers la multitude de questions que je pose. J’ai besoin de comprendre pourquoi on fait les choses d’une façon plutôt qu’une autre.

Je crois que c’est ma façon d’identifier si certaines règles mériteraient d’être brisées. Parce que si la justification ne me semble pas cohérente, alignée sur nos besoins, qu’elle nous freine ou nous nuit, alors là, je ne suis plus docile du tout.

Qu’est-ce que ça veut dire pour vous?

Pour moi, il s’agit d’abord et avant tout de ne pas faire les choses seulement par souci de conformité. Avoir le courage de remettre les choses en question, c’est briser une règle.

«Pourquoi?» est la question la plus importante dans la vie et, pourtant, c’est peut-être aussi celle qui agace le plus les gens quand on la pose. Parce que remettre quelque chose en question veut souvent dire que les choses risquent de se compliquer.

C’est intéressant de voir le visage des participants des formations de la Factry changer chaque fois qu’on arrive à «Briser une règle» dans la présentation des dix ingrédients de la créativité.

Qu’est-ce qui rend les gens inconfortables, selon vous?

J’ai l’impression que leur premier réflexe est de penser qu’on veut les inciter à poser des gestes illégaux, comme rouler à 140 km/h sur l’autoroute. Mais ce n’est pas ça: les règles sont essentielles au bon fonctionnement de la société.

Par contre, quand on cherche à innover et à être créatif, il faut savoir les remettre en question, évaluer lesquelles mériteraient d’être contournées, améliorées, ou brisées pour avancer.

Quand on a bien fait nos devoirs, on est en mesure de choisir judicieusement quelle règle briser, pourquoi et comment. Prenons l’exemple du virage à droite au feu rouge: presque tout le monde a eu une légère inquiétude au début, quand Québec a modifié le règlement. Ce n’est jamais confortable de briser une règle.

Quel est le risque associé au fait de ne jamais briser de règles?

Le risque, c’est de ne pas innover. Refuser de briser quelques règles ou codes que ce soit, c’est continuer de faire les choses comme on les a toujours faites—or, à mon avis, ce n’est pas une bonne façon d’évoluer.

Il faut se donner le droit à l’erreur. Certaines «erreurs» ont mené à des découvertes spectaculaires. Perpétuer les mêmes façons de faire ou les mêmes comportements pour ne pas se tromper, pour ne pas échouer ou pour ne pas sous-performer tue nécessairement la créativité.

Selon ma conception des choses, l’erreur existe uniquement dans un contexte où on connait le résultat attendu (1+1 n’égale pas 3). En dehors de ça, l’échec existe-t-il vraiment?

Notre société valorise beaucoup les bonnes réponses, et dénigre souvent les erreurs, mais l’innovation et la nouveauté se trouvent rarement dans les réponses et les solutions déjà existantes; si on vise un résultat déjà connu, on ne crée rien de nouveau ni de mieux adapté.

Le monde doit-il entrer dans l’ère de la question?

Je ne dis pas qu’il faut tout remettre en question tout le temps, il s’agit de trouver l’équilibre, mais c’est effectivement ce genre d’attitude qui peut créer les conditions pour qu’on grandisse.

De manière générale, quel type de règles est le plus dangereux pour la créativité?

L’humain s’adapte à tout et, à mon avis, le danger est là. On s’habitue rapidement aux règles, et on se met parfois à les suivre aveuglément.

La règle la plus pernicieuse est celle qui existe juste parce que «c’est comme ça», ou «parce qu’on fait ça comme ça depuis toujours». Souvent, on ne se rend même pas compte qu’on suit une règle.

Si on ne met jamais à jour les codes qui ont été mis en place il y a des années pour résoudre un problème pertinent à l’époque, mais qui a inévitablement évolué, on fait fausse route. Et pour identifier les éléments qui méritent notre attention, il faut poser les bonnes questions.

Dans une démarche d’innovation, comment faire pour aider les individus et les entreprises à apprivoiser l’idée de faire les choses différemment?

L’humain a fondamentalement besoin de changement, mais sa première réaction est presque toujours la résistance. Comme «Briser une règle» veut dire changer les choses, nécessairement, c’est confrontant au départ.

Mon truc est de faire en sorte que les participants ne se rendent pas compte que c’est ce qu’on va les amener à faire! Il s’agit de les amener à tirer des conclusions en les faisant réfléchir sur un sujet parallèle à leur enjeu, ou encore en leur proposant d’entreprendre une action en apparence anodine… C’est une manière plus efficace et inspirante d’avancer.

Il y a une différence entre dire qu’on veut changer des choses et réellement être dans la disposition mentale qui nous rend prêt à le faire. Quand je conçois des expériences, j’essaie de faire en sorte, dans le cas où le mandat et l’objectif du client s’y prêtent, que le parcours nous mène naturellement là—qu’il permette aux participants de dépasser leur résistance initiale, sans les forcer.

Et personnellement, avez-vous un truc ou un rituel infaillible pour vous replacer dans un état d’esprit créatif même dans le tourbillon du quotidien?

J’ai une curiosité insatiable. Je me nourris quotidiennement de tellement d’informations en tout genre que, quand vient le temps d’avoir des idées, ou de trouver des solutions, j’ai un grand bassin dans lequel piger.

Une idée nait habituellement d’une connexion que le cerveau fait entre deux choses, par exemple entre une information qu’on a apprise et une expérience qu’on a vécue, ou une émotion qu’on a ressentie. Donc, quand notre tête est bien remplie, on augmente nos chances d’avoir une bonne (ou une grande!) idée.

Nous utilisons l’orthographe modernisée.

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