Canada créatif: la Factry goute à sa propre médecine

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L’entreprise cliente

Récipiendaire d’un important contrat de la part du gouvernement fédéral, la Factry est, dans cette étude de cas, sa propre cliente! Puisqu’il faut le rappeler, nous sommes l’école des sciences de la créativité: notre vaste gamme de formations s’adresse à l’ensemble des professionnel·le·s qui souhaitent transformer leur industrie, quelle qu’elle soit. Nos enseignements sont complémentaires aux programmes offerts dans les institutions traditionnelles.

L’enjeu

Attaché au ministère fédéral Emploi et Développement social Canada (EDSC), le programme Compétences pour réussir finance des initiatives permettant aux Canadien·ne·s d’acquérir les habiletés nécessaires pour réussir dans des milieux de travail en profonde transformation.

En réponse à un appel à projets, la Factry propose de développer Canada créatif, un programme de formation en ligne et en personne gratuit pour les nouveaux·elles arrivant·e·s francophones visant à développer les «compétences du futur»: la communication, la collaboration, la résolution de problèmes, l’adaptabilité, la créativité et l’innovation. À l’été 2022, EDSC retient la proposition, et la première cohorte doit pouvoir débuter son parcours six mois plus tard.

Si elle a toute l’expertise pour créer un parcours de formation intéressant et pertinent, pour remplir ce mandat titanesque, la Factry doit s’outiller pour bien comprendre la réalité des personnes nouvellement arrivées au Canada.

«Entre le moment du dépôt de projet pour l’appel d’offres et le moment où le travail a commencé, l’équipe s’est rendu compte que la réalité de l’utilisateur type pressenti était toute autre que celle qu’elle envisageait au départ, explique Patricia Grzesiak, gestionnaire de projet à la Factry recrutée spécialement pour ce mandat. Par exemple, comme nos usagers cibles ont en majorité déjà rejoint le marché du travail, nous avons dû réévaluer la pertinence des réseaux de collaboration que nous pensions devoir établir.»

La Factry cherche donc à mieux comprendre et à définir les besoins des individus à qui s’adresse le programme, à développer une formation adaptée à leur réalité, et à comprendre ce qui ferait en sorte qu’ils s’y inscrivent.

La proposition

Pour mener à bien ce projet qui la sortait en partie de sa zone de confort, la Factry va gouter à sa propre médecine et s’engager dans un design sprint, un processus intensif tiré du design thinking.

«Un sprint sert à “dérisquer” la partie floue d’un projet, la partie qui est nouvelle pour l’entreprise, résume Cédric Martineau, spécialiste du design thinking, leader du programme Gestion de l’innovation à la Factry et consultant chez Carverinno Conseil. La qualité des formations que crée la Factry n’est pas un enjeu: c’est sa spécialité. La question était plutôt de savoir pourquoi les gens décideraient de s’inscrire. Il fallait arriver avec une proposition qui avait un bon niveau de désirabilité.»

Le travail

Au mois d’aout, la Factry démarre le design sprint, piloté par Cédric Martineau. Lors de la phase de cadrage, une première équipe définit l’usager type, qu’elle nomme Ryad—c’est lui qui servira à orienter la réflexion. Une équipe multidisciplinaire de huit personnes est ensuite composée, et elle se laissera guider par les différentes étapes du design sprint sur une période de quatre semaines. «Ce ne sont pas quatre semaines à temps plein. Ça respire, et la présence de tous les membres n’est pas requise à chaque étape», précise Cédric Martineau.

Le premier sprint a lieu sur deux jours. Autour de la table, la Factry réunit deux coachs et maitres d’atelier, deux cadres dirigeant·e·s et une gestionnaire appartenant à l’équipe habituelle, ainsi qu’un partenaire institutionnel hors Québec et un professeur d’université. «Au début, je ne voyais pas comment on allait pouvoir orienter une équipe aussi diversifiée vers une seule solution. Mais je sentais qu’on était bien guidés dans la progression, qu’on allait quelque part», se souvient Patricia Grzesiak.

Au bout de discussions animées et stimulantes, l’équipe opte pour le développement d’une application mobile, sur laquelle les participant·e·s auraient accès au contenu de la formation et, également, pourraient réseauter.

On prépare ensuite un story-board en vue d’une présentation de l’interface à cinq personnes immigrantes à la fin de la semaine. «Des recherches soutiennent que, pour ce genre de panels, on récolte avec cinq personnes 80% des commentaires qu’on aurait obtenus avec plus de monde», explique Cédric Martineau.

À cette étape, l’équipe sait que sa solution est loin d’être parfaite. «Comme la solution a été développée très rapidement, sur trois petits jours, on n’a pas le temps de s’y attacher, et on n’est pas dévasté si notre panel la démolit le lendemain», lance-t-il.

C’est le test de réalité. Les entrevues menées auprès du panel permettent de repérer les points forts, mais, surtout, les points faibles, de la solution proposée. «Dans ce cas-ci, on avait un bon accueil général, mais un des points importants était que les gens ne voyaient pas nécessairement l’avantage de détenir les compétences ciblées par nos formations, et risquaient donc de ne pas juger utile de s’y inscrire», soulève Cédric Martineau. De son côté, l’équipe de la Factry est consciente qu’il n’est pas réaliste de penser développer une application mobile en quelques mois, et tentera de formater une solution qui puisse s’insérer dans son site web existant.

Le second sprint—appelé «sprint d’itération» parce qu’il s’appuie sur le précédent— a donc pour objectif de répondre aux bémols émis par les panélistes et d’arriver à un prototype plus simple à mettre en œuvre. Pendant une journée, le groupe multidisciplinaire est guidé par Cédric Martineau à travers les différentes étapes du processus de discussion et de design pour apporter les ajustements nécessaires.

«À certains moments, le groupe n’allait pas dans une direction que, personnellement, j’aurais choisie, raconte Patricia Grzesiak. Au tout début, quand je n’étais pas alignée sur le reste du groupe, je me disais: est-ce que quelque chose va finir par me ramener? Mais à la fin du sprint, je savais que j’allais me rallier à une étape subséquente: j’avais eu assez d’exemples au fil des jours. Le processus est très bien fait, en ce sens.»

Pendant le sprint, les idées de chaque personne sont anonymes, ce qui a pour effet de libérer la parole et de court-circuiter les hiérarchies au sein du groupe. «Parfois, l’idée qui était retenue provenait d’une personne qu’on n’aurait pas vue comme étant la plus “créative”, par exemple. Ça déconstruit les aprioris», note la gestionnaire de projet.

À la fin du second sprint, une équipe réduite fabrique un prototype de la solution raffinée, qui passe ensuite entre les mains d’un nouveau panel, ce qui permet de faire un ultime bilan de ses points forts et de ses points faibles.

«Tu sors de l’expérience non seulement avec une solution concrète sur laquelle cheminer, mais tu sais aussi quelle personne pourra travailler sur tel ou tel aspect du projet», souligne Patricia Grzesiak.

Des avantages précieux pour la personne chargée de piloter le tout.

Le résultat

Le 16 février dernier, la première cohorte du programme Canada créatif a commencé ses ateliers. Trente personnes se sont engagées dans le processus de formation. Le microsite est en ligne depuis janvier. Avant même le début des formations, la Factry a compris qu’elle avait visé juste. «Les professionnels nouveaux arrivants se sentent interpellés. Les inscriptions sont rentrées en moins de trois semaines. Les formats envisagés lors du design sprint ont rendu le processus efficace. Même les questions à développement du formulaire d’inscription sont toutes remplies!» expose Patricia Grzesiak.

La Factry est consciente que son nouveau programme nécessitera des améliorations, mais, grâce au bilan de l’exercice, elle dispose maintenant d’une multitude d’idées parmi lesquelles piger au fur et à mesure que des enjeux surgiront.

«Le fait d’avoir documenté le processus me permet aussi, quand une nouvelle personne se joint au chantier et a des doutes sur une des avenues sélectionnées, de lui expliquer le cheminement qui nous a menés là, ajoute la gestionnaire de projet. C’est précieux.»

«Le design sprint, c’est la méthode que je choisirai dans mes nouveaux projets d’envergure, lorsque les délais seront aussi serrés, conclut-elle. Je ne l’avais jamais vécu, je l’ai fait avec une équipe que je connaissais à peine, et j’ai vu l’efficacité du processus.»

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