Partir, c’est choisir

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Même si on ne peut pas traverser l’océan à la rame en solitaire sans s’entrainer, il y a des limites à ce à quoi on peut se préparer.

«Il y a une première fois à tout’!» m’avait dit mon mentor Hermel au téléphone satellite, juste avant que j’installe l’ancre parachute à l’approche de ma première vraie grosse tempête, en septembre 2013. Je traversais alors l’Atlantique Nord.

En haute mer, on voit un système dépressionnaire venir de loin. On connait sa taille, son importance, la hauteur des vagues qu’il provoquera, la puissance des vents qui l’accompagneront. La pression affichée au baromètre nous indique où nous sommes dans le système météo: parfois elle nous rassure, et parfois non.

Crédit photo : Mylène Paquette

À son approche, on se prépare; dans la cabine, on attache et on remise tout ce qui pourrait s’endommager ou se transformer en projectile. Sur le pont, on range le siège à coulisse, les seaux, les gourdes, on attache les rames et les antennes.

Les premières fois, je tremblais. Mais, après quelques expériences, je suis devenue plus à l’aise.

Cette fois, pourtant, s’annonçait différente. Tandis que s’avançait la tempête la plus menaçante à laquelle j’avais eu à faire face, je me souviens m’être dit que, cette première fois, je devais la vivre pleinement, et saisir chacun des apprentissages que m’apporterait ce défi.

Je me souviens avoir regardé la mer par le hublot de mon petit habitacle en me disant qu’elle était belle, cette nature-là, cette mer-là, quand elle était fâchée.

Chaque vague.

Chaque paquet de mer sur le pont.

Chaque craquement soudain, sévère, dramatique. Un spectacle, une musique, un concert.

Au bout de quelques heures, ma tempête était devenue un ouragan: Humberto.

Je me répétais: «Ce n’est qu’un ouragan, il y en a sur Terre depuis des millénaires, mais celui-là, c’est le mien!»

Crédit photo : Mylène Paquette

Il n’y avait plus personne à des milles à la ronde—d’autres bateaux avaient fui depuis belle lurette. J’étais la seule à tenter de traverser l’Atlantique Nord avec mes petites rames insignifiantes. Humberto était mon compagnon de route à moi, me répétais-je.

Je tentais par là de rendre ce cyclone plus modeste, plus digeste, moins insurmontable.

Embrasser Humberto, ce bel inconnu de quelques kilomètres de large. Me servir de l’humour pour rendre son passage plus confortable.

Pour mieux avancer dans l’inconnu, dans l’insoupçonné, dans l’impréparable.

Pour certain·e·s, l’inconnu, c’est traverser l’océan à la rame. Pour d’autres, c’est avoir un premier enfant, ou en élever un second toute seule. C’est commencer un nouveau travail, ou monter un projet qui nous est cher.

Humberto aura finalement fait chavirer mon embarcation à trois reprises. Sueurs froides, souffle coupé, peurs bien fondées. Mais, après quelques bris techniques, j’étais prête à reprendre du service.

Humberto m’a fait peur, oui, mais il m’a aussi permis de vivre d’intenses moments de béatitude, et des rencontres incroyables: c’est grâce à lui que le fameux Queen Mary 2 est venu m’encourager.

Sans Humberto, mon histoire serait bien différente, aujourd’hui.

Crédit photo : Arnaud Pilpré

 

Nous utilisons l’orthographe rectifiée.

Mylene Paquette - Crédit photo Ronan Algalarrondo

Mylène Paquette

Navigatrice et conférencière

En 2013, elle est devenue la première personne du continent américain à traverser, en solitaire, l’Atlantique Nord à la rame. Depuis, elle donne des conférences et des ateliers de formation tout en contribuant à des causes qui lui sont chères, dont l’environnement, et les enfants malades.