Les compétences du futur: s’outiller pour changer

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Les experts prédisent que l’automatisation croissante du travail amènera les gestionnaires à miser de plus en plus sur le savoir-être des employés. Quelles sont ces compétences qui marqueront la transition à venir dans le monde du travail?

Comme souvent, Amazon a ouvert le bal. L’année dernière, le géant du commerce en ligne ne comptait pas moins d’une trentaine de magasins de proximité sans caissiers. Totalement robotisés, les Amazon Go ont été décrits comme les «supermarchés du futur».

Même si le public y adhère de façon mitigée, le phénomène prend de l’ampleur en Amérique du Nord et ailleurs. Plusieurs grandes enseignes bien connues de pharmacie et d’épicerie ont intégré ces dernières années des caisses robotisées afin de diminuer leurs charges salariales. Une tendance qui, pour des raisons sanitaires, s’est nettement confirmée durant la pandémie, et qui semble là pour rester.

Plus de robots, moins d’emplois?

Selon le rapport S’adapter au monde du travail en pleine évolution, produit par l’Environics Institute et le Centre des Compétences futures, les Canadiens considèrent que l’avènement des nouvelles technologies de l’information (NTI) a transformé leur façon de travailler. Plus encore: la place qu’occupent désormais les NTI dans le monde du travail a engendré chez eux un sentiment d’insécurité liée à l’emploi. Une peur qui s’avère fondée, si l’on se fie à une récente étude de Statistique Canada, qui montre que «la majorité des travailleurs présentent un certain risque».

Alors, les caisses automatiques vont-elles vraiment nous ravir nos jobs? C’est ce que prévoit le rapport.

Un impact sur les compétences recherchées

Corollairement, l’innovation technologique et la mondialisation polarisent l’emploi. Le nombre d’emplois moyennement qualifiés baisse, tandis que les emplois très qualifiés et peu qualifiés sont de plus en plus légion.

Cette tendance contribuera à créer et à renforcer l’emploi aux deux extrémités de «l’échelle de distribution des compétences». C’est à tout le moins ce qu’anticipe l’Américain David Autor, sommité dans l’économie du travail et professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Déjà, depuis deux ans, la pandémie a exacerbé le mouvement: en étendant le télétravail, la crise sanitaire «a creusé un écart croissant au niveau des titres et des compétences», comme il est dit dans l’étude du Forum des politiques publiques (FPP), La polarisation des emplois au Canada: les compétences pour le monde postpandémie, menée en 2021 avec le concours de la Ted Rogers School of Management et du Diversity Institute.

Cette polarisation affecte et affectera surtout les travailleurs de demain, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Alors, comment bien les préparer?

Faire face à la transition

C’est ce sur quoi planchent les officines gouvernementales et les grands partenaires du marché du travail que sont les gros employeurs, les syndicats, les acteurs de l’éducation et du milieu communautaire.

À preuve, ce Référentiel québécois des compétences du futur, réalisé par la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), en collaboration avec la Direction générale des communications du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, sorti en février dernier. Leur constat:

«Trois grandes transitions sont en marche: les transitions démographiques, numériques et climatiques, résume Audrey Murray, présidente de la CPMT. Les gestionnaires vont devoir développer en continu des compétences techniques, mais aussi non techniques, notamment les compétences du futur.»

Finie, la suprématie des power skills, même si leur maitrise reste cruciale en entreprise. Aujourd’hui, le marché du travail a grand besoin de soft skills, ces compétences qui reposent sur l’intelligence relationnelle et émotionnelle. Plusieurs compétences ont ainsi été identifiées dans la première version du Référentiel: maitrise du numérique, collaboration et communication, adaptabilité, information, résolution de problèmes, autonomie, inclusion, développement professionnel, environnement et éthique.

«Ces compétences du futur sont nécessaires dès maintenant pour servir de socle à la littératie et à la numératie avec des mises à niveau constantes, dit Audrey Murray. Car le défi est de rendre le Référentiel vivant et pertinent pour tous les secteurs d’activité.»

La CPMT prévoit faire des appels à projets de plusieurs millions de dollars pour que ces compétences soient intégrées à des formations adaptées, comme celles données par la Factry, à l’avant-garde de la créativité.

Le savoir-être dès l’école

Aider les gestionnaires d’entreprise et les employés à miser sur les compétences du futur est indispensable pour amorcer la transition du marché du travail et ancrer l’économie dans la réalité de demain. Reste que cette transition doit aussi être anticipée auprès des futurs travailleurs, c’est-à-dire auprès des élèves en milieu scolaire et des étudiants universitaires.

C’est ce à quoi s’emploie Ugo Cavenaghi, président-directeur général du Collège Sainte-Anne (Lachine), conférencier et auteur de plusieurs ouvrages dont Osons l’école d’après: apprendre de la crise pour innover en éducation (2020).

«Ça fait un moment qu’on réfléchit sur l’école, qui est en situation de rupture avec la société, explique Cavenaghi, qui est aussi partenaire fondateur de la Factry. L’intelligence artificielle va se charger de plus en plus des tâches que les humains réalisent, que ce soit dans les domaines de la santé, de l’éducation, du droit ou des transports. Il va falloir que nous travaillions en complémentarité en misant sur des valeurs comme la collaboration, le sens critique ou, encore, la compassion.»

Pour ce spécialiste de l’éducation, l’école, telle qu’elle est définie aujourd’hui, est un lieu de savoir académique et de transfert des connaissances, alors que l’information est accessible en un clic de souris à l’ère d’Internet. Elle n’apprend pas aux enfants et aux adolescents à maitriser le savoir-être. Résultat: une perte de sens pour le système éducatif.

Comment orienter les programmes scolaires vers des compétences que la société attend des futurs employés?

Des espaces pensés pour la transition

C’est pour répondre à ce défi que le Collège Sainte-Anne, le seul établissement d’enseignement privé du Québec regroupant les niveaux secondaire et collégial, a mis en place Le cours de demain, un outil destiné aux professeurs et éducateurs, en phase avec cette nouvelle approche éducative. Ce programme apporte au jeune des outils pour expérimenter, innover et interagir, ce qui le familiarise avec les exigences du marché du travail. Il le prépare à plus de flexibilité et de réactivité face aux changements continus.

Dès la rentrée prochaine, une autre école Sainte-Anne verra le jour à Dorval avec un projet encore plus audacieux et avant-gardiste, adressé cette fois aux élèves du préscolaire et du primaire.

«On arrête d’enseigner les mathématiques, l’anglais, le français en silo; on traite tout en transversalité. L’architecte Pierre Thibault a dessiné un bâtiment qui reflète cette approche: très peu d’espaces fermés, beaucoup de lieux collaboratifs puisque la collaboration et le travail d’équipe sont des compétences à développer», explique Cavenaghi.

En prime, la nature y sera très présente avec 35 jardins communautaires, une grange pédagogique, 300 pieds de vigne, des légumes en serre et, enfin, un atelier culinaire et de vinification. La créativité dans et hors les murs.

«On veut que l’école fasse école», résume-t-il.

Depuis dix ans, chaque élève de l’école Sainte-Anne possède son propre ordinateur, et deux journées carboneutres y sont organisées durant lesquelles le personnel et les jeunes sont invités à télétravailler de la maison.

La dernière journée carboneutre? Celle du 13 mars 2020, le jour des toutes premières mesures de distanciation annoncées par le gouvernement provincial. Un drôle de rendez-vous avec l’histoire… et avec l’avenir.

Nathalie Schneider

Nathalie Schneider est journaliste spécialisée dans le plein air et le tourisme d’aventure et compte à son actif un très grand nombre de reportages de terrain. Elle est chroniqueuse plein air notamment au Devoir et occasionnellement à la radio de Radio-Canada. Elle s’intéresse également à des sujets reliés à la société, à l’art et à l’environnement.