Apprivoiser l’idée hors norme, avec Thomas Leblanc et Vincent Ramsay-Lemelin

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Trouver, capturer, vendre et réaliser la bonne idée nécessite de parcourir un chemin parfois jonché de défis, d’obstacles, de mythes et d’aprioris. C’est pourquoi La Factry lance une version remaniée de sa formation à la carte Perfectionner l’art de la grande idée, un camp d’entrainement d’une journée destiné aux professionnel·le·s de la communication, du marketing et de la création. Thomas Leblanc et Vincent Ramsay-Lemelin, deux experts issus du monde des médias et de la publicité, accompagneront les participant·e·s dans un processus de création permettant non seulement aux grandes idées d’émerger, mais aussi de prendre vie.

Qu’est-ce qu’on entend par «la grande idée»? Qu’est-ce qui distingue une grande idée d’une idée normale?

Thomas: C’est une expression qui vient de l’univers de la publicité. En général, elle désigne une idée rassembleuse, qui résout un problème, qui se communique aisément et qui incite à passer à l’action. Ça dépasse l’univers de la publicité: on peut avoir de grandes idées en politique, dans les arts, etc.

Vincent: En plus de tout ça, il y a le facteur «succès» qui, d’un point de vue commercial, devrait toujours être le premier critère pour identifier une grande idée. Mais on l’oublie souvent. Dans le monde de la publicité d’où je suis issu [Vincent a travaillé comme créatif numérique pendant plus de 20 ans], les concours font en sorte qu’une grande idée sera souvent reconnue par les pairs. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’une bonne idée doit amener un résultat. Pour qu’elle chemine, on doit donc être capable de relier son impact potentiel aux objectifs du client (pour une agence de pub) ou de l’entreprise.

T: Il y a plusieurs mythes autour de ce type d’idées. L’objectif de la formation est de donner des outils concrets et d’explorer comment, avec une méthodologie particulière, on peut arriver à trouver de grandes idées.

Quels sont les mythes courants entourant la grande idée?

T: Cette impression, par exemple, que les grandes idées arrivent comme des éclairs de génie. Ou le dicton qui veut que la première idée soit la meilleure. Comme animateur, j’ai fait beaucoup d’entrevues avec des créateurs, des artistes, et ça me passionne de les entendre parler du processus—de voir qu’il y a toujours une discipline derrière. Il faut un cadre dans lequel les choses peuvent émerger.

V: Un processus créatif, ça se conceptualise pour arriver à un bon résultat chaque fois qu’on a besoin de générer des idées. Et il faut prendre conscience que ça prend un certain temps.

T: Une fois qu’on a dit ça, je pense qu’on s’est tous déjà retrouvé au moins une fois dans un mauvais brainstorm, dans un mauvais processus, et un des points de la formation est de les décortiquer pour en tirer certaines clés. Par exemple, il y a un temps pour briefer, un temps pour réfléchir individuellement, un temps pour brainstormer collectivement, un temps pour la rétroaction…

V: La majorité des bonnes idées que j’ai eues ou dont j’ai été témoin dans ma vie n’ont pas émergé au cours d’un brainstorm. Par contre, le brainstorm est un moment qui peut rallier les gens autour d’une idée développée par un individu. C’est le moment qui permet d’obtenir l’engagement des membres de l’équipe, et il est nécessaire pour aller de l’avant. Avoir une bonne idée, ce n’est que 2% du travail: il faut être capable de la vendre. À nos collègues, aux autres employés de l’entreprise, à notre client…

De quelle manière la formation aide-t-elle les participant·e·s à aller plus loin que l’idéation?

T: La formation commence avec une mise en situation, un brief créatif envoyé avant la rencontre, pour que tout le monde commence à réfléchir au problème d’affaires qu’on va essayer de régler ensemble. La première moitié de la journée est consacrée au processus de création. La deuxième moitié de la journée, à la présentation des solutions développées par chacun. On aborde alors l’art de pitcher son idée. Et on donne de la rétroaction, on essaye de faire en sorte que les gens améliorent leur capacité à vendre leur idée.

Quels mauvais réflexes peut-on avoir quand on recherche une grande idée?

T: Il y a des pièges classiques, comme une équipe qui travaille en silo, qui ne communique pas suffisamment, ou dans laquelle les gens ont l’impression que c’est quelqu’un d’autre qu’eux qui possède l’expertise créative…

Une autre chose importante: pour avoir une bonne idée, ça prend un bon brief, et pour avoir un bon brief, ça prend un bon problème. Dans les équipes où on manque de ressources et de temps pour les opérations concrètes, on n’investit peut-être pas assez de temps en amont pour identifier le bon problème à régler, et ça biaise le reste du processus.

V: Aussi, dans les grandes organisations, la tolérance au risque est souvent assez faible. Donc, quand vient le temps de choisir une idée, on sélectionne parfois la plus facile à exécuter, celle qui présente le moins de risques—et ça donne des idées moyennes. Si une idée est facile à réaliser, c’est parce qu’elle n’est pas si innovante que ça; elle maintient le statuquo. Souvent, l’idée retenue est la première qui émerge, parce qu’on en connait les paramètres, et qu’elle met tout le monde à l’aise. Il faut être prêt à explorer d’autres options.

Graphique illustrant les différents types d’idées. Provenant de la présentation de Vincent Ramsay-Lemelin.

 

Comment la formation aide-t-elle les participant·e·s à se sentir moins intimidé·e·s par les propositions hors norme?

T: Elle permet de créer un langage commun. Et, dans la formule à la carte, les gens se retrouvent avec des personnes provenant de différentes entreprises. Quand on travaille avec nos collègues habituels, tous les mauvais plis sont là. Mais avec des gens qu’on ne connait pas, on sort plus vite de notre zone de confort, et on entre en relation créative.

V: Quand on choisit une idée innovante, elle vient avec des risques et, souvent, une certaine incompréhension de la part des gens autour de nous. Comme créatif, quand on communique ce type d’idée, on doit connaitre le chemin pour y arriver. Pour la personne à l’autre bout du spectre, acheter une idée sans connaitre les prochaines étapes, ce à quoi on va devoir faire face, c’est difficile. C’est comme dire à quelqu’un: on va construire une maison vraiment hot, mais on ne sait pas combien elle va couter ni si on peut se procurer les matériaux. Il n’y a personne qui va acheter une maison sur cette base-là. Il faut arriver, dans la mesure du possible, avec certaines réponses, et c’est entre autres ce qu’on travaille dans la seconde partie de la formation.

Comment avez-vous respectivement développé une expertise autour de l’art de la grande idée?

T: Je suis vraiment un touche-à-tout: je fais de la radio, un peu de télé, j’organise des évènements… Le fil conducteur de tout ça, c’est de toujours tenter de faire quelque chose que personne d’autre ne peut faire, ou de le faire différemment de tout le monde. Ça a été important pour moi d’apprendre à me connaitre comme créatif, d’apprendre à prendre des risques qui en valent la peine, car je suis plutôt conservateur à la base. Aussi, à travers les nombreuses entrevues que j’ai faites avec des créateurs, je me suis beaucoup intéressé à l’aspect psychologique de la création et aux dynamiques sociales. On a plein de biais par rapport à qui on imagine être une personne créative ou non, et ça m’intéresse de déconstruire ça.

V: Moi, je viens du domaine numérique et, en agence publicitaire, ça a souvent été mon rôle de faire collaborer les gens du numérique avec les gens du marketing. À travers ce processus-là, je me suis rendu compte qu’on faisait face à un manque de compréhension mutuel, et il a fallu que je décortique les deux façons de travailler pour pouvoir mieux les arrimer.

Il y a un deuxième facteur important qui m’a poussé à m’intéresser au cheminement de la grande idée: à un moment donné, dans l’agence où je travaillais, on s’est rendu compte qu’on avait du mal à réaliser les bonnes idées. À mon avis, on ne manquait pas d’idées, mais on ne réussissait juste pas à les vendre à nos clients. À partir de ce moment-là, ça a été clair pour moi qu’il fallait trouver une façon de mieux leur expliquer comment on arrivait aux idées qu’on leur proposait. Puis, de fil en aiguille, dans mon rôle de directeur exécutif de création, à travers les conférences que j’ai données et l’accompagnement de clients, ça a pris forme.

La formation a été passablement remaniée: assez pour qu’une personne qui l’a déjà suivie trouve de la valeur ajoutée dans la nouvelle mouture?

T: Oui! Concrètement, les gens ne vont pas travailler sur le même projet créatif. Bien sûr, c’est comme un cours de musique: il y a des éléments de base qui vont revenir, mais c’est toujours bon de se rafraichir la mémoire. C’est un bon petit boot camp d’un jour pour se remettre dans le bain.

V: Même quand je travaillais en agence, on rappelait fréquemment les notions de base à l’équipe!

Quel conseil donneriez-vous aux personnes créatives qui cherchent à sortir des sentiers battus, à mettre leur casque d’explorateur·trice?

V: Une des grosses réalisations qu’ont les participants, c’est que, justement, il faut le mettre, le casque: il ne va pas se mettre tout seul.

T: On les amène à comprendre qu’il faut prioriser la création, et défendre leur temps. Les gens sont occupés par plusieurs tâches au quotidien, et ce n’est pas dans ce contexte-là que naissent les grandes idées.

V: Prendre trois heures pour penser à des idées, ce n’est pas super valorisé, mais c’est ça, mettre son casque d’explorateur. C’est se dire: moi je vais dédier une portion de ma semaine à chercher des idées, et ça se peut qu’en fin de compte, je n’aie pas de document concret à présenter. Il faut apprendre à mettre le casque, et à assumer ce qui se passe. Ça a beaucoup de valeur, mais on a peur de faire ce processus-là.

T: Venir passer une journée à La Factry, s’offrir ce temps-là, c’est une bonne première étape pour porter le chapeau de créateur.

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