La Factry et l’Université de Montréal unissent leurs forces

ArticleFormations sur mesure

Éduquer étudiants et enseignants aux soft skills et à la créativité en partenariat avec La Factry: c’est l’initiative inédite de l’Université de Montréal menée depuis l’an dernier. Entrevue avec Catherine Fouron, responsable du développement professionnel au vice-rectorat adjoint aux études supérieures et postdoctorales.

Cette année, vous avez sollicité La Factry pour offrir une formation aux professeur.e.s universitaires des cycles supérieurs et postdoctoraux. Quel en était le contexte?

En réalité, notre lien à La Factry a débuté en 2021 quand nous avons développé ensemble une école d’été de deux jours pour les étudiants doctorants et post-doctorants. L’idée était de démystifier la créativité, souvent associée aux arts visuels ou au design, par exemple, et de leur montrer l’importance d’adopter une posture créative et des compétences humaines (soft skills) pour leur avenir professionnel. Une vingtaine d’entre eux, toutes disciplines confondues, autant en sciences qu’en littérature ou en ergothérapie, se sont inscrit·e·s à cette formation et se sont montrés super-emballés par le propos de la formation. Tous et toutes se sont révélés créatifs dans cet espace conçu pour réfléchir autrement. Plusieurs nous ont dit: «À l’université, on n’entend jamais parler de collaboration en équipe!»

Quelle a été l’adhésion des étudiants à cette formation?

Le taux de participation a été assez faible, alors que ça se bouscule aux portes quand je propose des formations plus académiques sur la culture universitaire ou sur la pédagogie, etc. Je me suis dit: le message n’est peut-être pas bien passé auprès des étudiants pour qui le plus important est de publier des articles scientifiques, de se concentrer sur le sujet de leur mémoire, entre autres. Dans ce cadre, la créativité n’est jamais abordée comme une compétence pertinente. J’ai compris que, pour qu’ils et elles y adhèrent, il fallait que les enseignant·e·s incarnent la créativité et la transmettent ensuite à leurs étudiants. C’est la raison pour laquelle nous sommes revenus avec La Factry, en mai dernier, pour donner une formation semblable à une trentaine de professeurs universitaires, dont une bonne partie du cycle supérieur (2e et 3e cycle). Donc un an plus tard, on pérennise notre approche et on modifie la culture universitaire auprès des professeurs et des directeurs de thèse. Bien sûr, le protocole a été respecté: trois conseillers pédagogiques ont aussi assisté à la formation, de même qu’une douzaine d’étudiant·e·s durant une journée sur les deux jours qu’a duré la formation. L’un des enseignants a dit à l’issue de l’expérience : «Mon directeur de département devrait aussi suivre cette formation!»

On craignait une certaine réserve de la part des étudiants durant cette formation, mais ça ne s’est pas produit. On ne pouvait même pas départager les étudiants des professeurs. Tous et toutes ont démontré les mêmes réactions; émotion, hésitation, amusement, crainte…

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Pourquoi vouloir faire entrer la créativité et les compétences humaines (soft skills) dans le cursus universitaire?

Autrefois, on faisait son doctorat et on devenait professeur d’université. Aujourd’hui, on observe une inadéquation entre le nombre de doctorants et celui des postes à pourvoir. On sait qu’environ 80% des diplômés n’auront pas de poste universitaire. D’où la nécessité, pour chacun d’eux, de développer des compétences transversales qui leur serviront plus tard dans leur emploi. Avoir un doctorat n’est plus suffisant aujourd’hui; il faut aussi développer d’autres aptitudes indispensables, comme le leadership, la communication, la collaboration et la créativité.

Quelle a été la méthodologie de La Factry?

Nous avons travaillé en co-création sous forme d’ateliers. Durant l’un d’eux, nous avons dressé le portrait et les besoins d’un·e étudiant·e de première génération: comment l’université peut-elle l’aider? Avec du carton et de la plasticine, on a créé l’univers idéal où il pourrait s’intégrer: un arc en ciel pour exprimer la bienveillance, un jardin communautaire comme lieu d’échanges. On a aussi imaginé l’université comme un moyen de transport: un paquebot fort mais lent et difficile à faire bouger. Pour illustrer les départements, on a évoqué le vélo stationnaire, le voilier et, même, le train. À la fin, notre prototype d’université idéale était ouvert, innovant et inclusif. Cet exercice a permis aux étudiants de se réconcilier avec la rigidité de l’institution et aux professeurs de s’outiller pour le changement.

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L’Université de Montréal fait preuve de leadership en intégrant cette culture de l’innovation dans un milieu souvent considéré comme peu enclin au changement. Est-ce une première au Québec?

Oui, nous sommes pionniers en la matière. Il faut dire que la créativité était le parent pauvre de nos compétences. Personnellement, je suis totalement vendue à cela; j’aime l’idée qu’on sorte du campus et qu’on travaille dans un environnement nouveau, différent. Quand on change d’environnement, on modifie notre façon de réfléchir. L’université a aussi la responsabilité d’être un agent de changement et de préparer ses étudiants à leur futur professionnel en cultivant la culture d’innovation.

Observez-vous déjà l’impact de cette formation?

C’est un peu tôt pour cela, mais les retours que nous avons des participant·e·s sont très positifs. Ma philosophie: on ne peut pas tout changer, mais si chacun fait un petit bout de chemin, on peut arriver à transformer l’université pour qu’elle réponde aux besoins des étudiant·e·s qui cherchent à mieux performer sur le marché de l’emploi. Nous avons franchi un pas. Chaque nouvelle génération de professeurs va apporter de nouvelles façons d’enseigner et une valeur ajoutée au-delà de leur discipline. En prime, injecter de la créativité à l’université va permettre la rétention des étudiants. Quand on leur dit «fais-le à ta façon», ça les amène à plus d’équilibre et de renforcement positif.

Commentaires de participants :

Alexis, étudiant en Sciences de l’environnement
«À l’université, il y a des enjeux institutionnels que je ne peux pas contrôler personnellement. Mais, après cette formation, je vois que les professeurs sont beaucoup plus ouverts que ce à quoi je m’attendais à transformer leurs méthodes d’éducation et à laisser plus de place à l’échange.»

Jean-Noël, professeur à l’École de santé publique
«Pendant la formation, j’ai réalisé qu’on peut faire des apprentissages sérieux avec des approches beaucoup moins formelles, plus ludiques. On peut faire passer les messages d’une autre façon qu’à travers un cours magistral.»

Karine, étudiante et chargée de cours en Éducation et didactique du français
«J’ai adoré l’expérience du fish bowl, ça m’a tout de suite interpellée, car c’est une manière de travailler la communication orale, mais aussi le contenu d’une façon innovante. Je mets ça dans ma boite à outils et je vais sûrement l’utiliser à l’université!»

«J’essaie de me décentrer de l’éducation traditionnelle en mettant l’apprenant·e au centre de ses apprentissages, en m’éloignant du magistral pour trouver des méthodes d’enseignement ingénieuses qui répondent mieux à ses besoins.»

 

Nathalie Schneider

Nathalie Schneider est journaliste spécialisée dans le plein air et le tourisme d’aventure et compte à son actif un très grand nombre de reportages de terrain. Elle est chroniqueuse plein air notamment au Devoir et occasionnellement à la radio de Radio-Canada. Elle s’intéresse également à des sujets reliés à la société, à l’art et à l’environnement.