Entrevue avec Daniel Lamarre

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Il se qualifie lui-même d’«évangéliste de la créativité». Dans son livre L’équilibriste: performez grâce à votre créativité (2022), Daniel Lamarre revient sur les deux décennies d’innovations qui ont marqué son rôle de directeur général du Cirque du Soleil. Cette année, c’est avec enthousiasme qu’il collabore avec la Factry.

Quelle est votre définition de la créativité?

La créativité consiste à développer une solution à un problème existant, ou bien à créer de nouveaux produits ou services. Dans le cas du Cirque du Soleil, elle permet de développer de nouveaux spectacles. C’est la créativité qui est à l’origine de l’innovation, comme en ont fait preuve Steve Jobs ou Elon Musk. Elle a amené ces entrepreneurs à innover dans leurs secteurs respectifs.

Sans créativité, aucune entreprise ni organisation ne peut survivre. En finance, elle est au cœur des relations avec les employés, les investisseurs et les banquiers. Même les secteurs plus traditionnels comme les firmes d’avocats ou de comptables doivent innover pour mobiliser leurs troupes et fidéliser leurs clients. Je suis profondément convaincu que si vous n’innovez pas, vous allez vite vous faire dépasser. Si Kodak a disparu de la carte, c’est parce que l’entreprise a nié que le numérique finirait par occuper tout le marché. C’était un déni épouvantable, et on connaît le résultat aujourd’hui. Au Cirque du Soleil, mon angoisse était qu’on vienne me dire un jour: «Ah, c’était très bien le Cirque du Soleil dans les années 2000… Mais maintenant, y’a cette troupe-là qui est bien meilleure…»

Quels moyens le Cirque du Soleil se donne-t-il pour maintenir cette créativité?

La recherche et développement y occupe une place majeure. On est continuellement à l’affût des nouveautés: idées, technologies, artistes, décors, tendances musicales, etc. Les gens nous disent souvent: «Pour vous, c’est facile d’être créatifs, vous êtes une boite de créateurs.» C’est vrai, c’est probablement plus facile qu’ailleurs. Sauf qu’on pourrait aussi se reposer sur nos lauriers, et arrêter d’innover.

Ce serait facile, mais ça ne durerait pas longtemps. À chaque nouveau spectacle, les attentes du public sont très élevées. On se doit de les combler et même de les dépasser. C’est pour cette raison qu’il faut maintenir le feu sacré et se remettre en question continuellement.

Daniel Lamarre Factry

Comment avez-vous développé votre propre créativité?

J’ai beaucoup appris en fondant la firme de relations publiques NATIONAL, en travaillant comme président du réseau TVA, et aussi en côtoyant les artistes. Mais c’est le Cirque du Soleil qui m’a amené à un autre niveau. Cette mentalité de ne faire aucun compromis, d’amener nos idées toujours plus loin, même nos idées folles, ça m’a aidé dans ma transformation. Avant, j’étais un homme d’affaires assez traditionnel, je croyais avoir une vie bien remplie. Mais ce n’était rien en comparaison avec ce que je vis depuis 21 ans!

Au Cirque, j’ai eu la chance de rencontrer de grands créateurs comme Guy Laliberté, Robert Lepage, Dominic Champagne et, plus tard, James Cameron. J’ai pu observer comment ils vont plus loin parce qu’ils s’accordent des moments de réflexion et sont dans un élan artistique. Avec eux, j’ai appris à être plus créatif autant dans ma vie professionnelle que dans ma vie personnelle.

Dans votre livre, vous racontez qu’à vos débuts, Guy Laliberté a chargé un clown de vous suivre pour diminuer votre côté «sérieux». Est-ce que ça a contribué à votre transformation?

Le clown en question s’appelait Madame Zazou. Elle m’a beaucoup apporté. Elle me suivait partout et me tournait en dérision pendant mes réunions de travail avec les employés. Pour moi, c’était plus qu’un clown, c’était un symbole.

Je ne recommande pas aux gestionnaires d’engager un clown, car ils ne sont pas dans cette industrie, mais je leur dis: trouvez un symbole qui vous convient, qui vous rappelle tous les jours votre raison d’être. La raison d’être du service des finances du Cirque, ce ne sont pas les finances, c’est le spectacle. La raison d’être de son président, ce n’est pas d’effectuer des tâches administratives, c’est plutôt de créer des emplois dans un milieu où il est très difficile pour les artistes de gagner leur vie.

Aujourd’hui, le Cirque permet à plus de 2 000 personnes de vivre de leur passion. Je préfère penser à ça plutôt que de me dire simplement: «Je suis président du Cirque du Soleil.» On a créé une fierté et un écosystème qui inspirent d’autres créateurs. C’est comme ça qu’on est passé d’une petite troupe à une multinationale présente dans 450 villes sur tous les continents.

Le Québec est-il créatif?

Absolument, et pour deux raisons. D’abord, on est un îlot francophone immergé dans une mer anglophone. C’est une fabuleuse opportunité, qui nous oblige à être créatifs. Les exemples les plus significatifs, ce sont la télé et le cinéma: notre langue distinctive nous pousse à faire les choses autrement. Ce n’est pas le cas à Toronto, où les gens ne consomment que du contenu américain.

Ensuite, le Canada est une belle terre d’accueil. Ici, nous employons des gens qui proviennent de 90 pays différents. Ils se sentent bien chez nous. Travailler pour une entreprise canadienne les met en confiance.

La force de la langue et de la terre d’accueil crée une effervescence. C’est ça qui fait qu’on est plus créatifs qu’ailleurs.

Qu’en est-il au niveau individuel?

On est tous créatifs. Sauf qu’on ne cultive pas toujours sa créativité. Dans le service de la facturation, par exemple, on n’a pas des défis créatifs tous les matins, mais on peut innover sur des facteurs qui influencent le travail: adopter de nouvelles technologies, améliorer la communication avec les collègues, la relation avec la hiérarchie, etc.

Pour ça, chacun doit réfléchir et comprendre comment la créativité peut lui permettre d’avoir une vie mieux remplie, plus intéressante. Chacun doit s’y arrêter, faire des recherches sur les meilleures procédures et se demander: qu’est-ce que je peux améliorer à mon niveau?

J’aime croire que la majorité des gens sont ouverts aux nouvelles idées. Je suis un éternel optimiste.

Dans votre livre, vous donnez de nombreux conseils à cet effet. Pour vous, la créativité semble être étroitement liée aux valeurs humaines.

Vous avez raison. Je crois fermement que le succès ne part pas de l’entreprise, mais des individus. Avec le Cirque, j’ai appris l’importance de développer une œuvre commune. Chez nous, il n’y a pas de vedette. La vedette, c’est le spectacle.

Les forces communes sont au cœur de nos actions. On n’a pas besoin de créer un esprit d’équipe car ici, c’est fondamental: on ne peut rien faire sans l’autre! Pas de spectacle sans un metteur en scène, des artistes, des musiciens, des costumiers, une équipe de casting. Au total, 20 à 25 disciplines sont nécessaires pour chaque nouvelle création. On peut réunir jusqu’à 150 professionnels!

L’importance de l’esprit d’équipe, c’est vrai dans toutes les entreprises, même si, malheureusement, ce n’est pas toujours reconnu.

Pourquoi vous impliquer aujourd’hui avec la Factry?

Après la parution de mon livre, j’ai décidé de m’engager avec la Factry pour contribuer à promouvoir cette école des sciences de la créativité, que j’aime beaucoup. J’ai été très impressionné par le travail des deux cofondatrices, Marie Amiot et Hélène Godin. Nous partageons la même conviction à l’égard de la puissance de la créativité. La sortie de mon livre nous permet de collaborer et de déployer les actions de la Factry encore plus loin.

Maintenant, à chaque fois que je donne une conférence, je fais la promotion de la Factry. On a aussi l’intention de faire un ou deux événements grand public pour promouvoir l’école. Mais surtout, on travaille sur un projet plus ambitieux: une formation qui aura pour objectif d’aider les entreprises à être plus créatives. Pour des gestionnaires, mais aussi pour des employés qui sont conscients qu’ils pourraient développer leur carrière avec les formations en créativité de la Factry. On planifie d’offrir l’atelier dès l’automne.

Cette entreprise a réussi à innover de manière exceptionnelle et ceci est un exploit incroyable. C’est avec grand plaisir que j’y contribuerai modestement. Je trouve que cette équipe mérite de passer à un autre niveau. Je suis convaincu que ça va arriver.

Mon rêve, c’est de rencontrer un jour quelqu’un qui me dira: «J’ai suivi une formation avec vous à la Factry, et voici ce que j’ai réalisé avec ça!» C’est tout ce que je me souhaite.


Pendant deux ou trois ans, Daniel Lamarre continuera à occuper une fonction exécutive au sein du Cirque du Soleil, à titre de vice-président du conseil d’administration. Cela afin d’assurer la transition vers la nouvelle direction.

Nathalie Schneider

Nathalie Schneider est journaliste spécialisée dans le plein air et le tourisme d’aventure et compte à son actif un très grand nombre de reportages de terrain. Elle est chroniqueuse plein air notamment au Devoir et occasionnellement à la radio de Radio-Canada. Elle s’intéresse également à des sujets reliés à la société, à l’art et à l’environnement.

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