Chantal Gosselin: apprendre à écouter

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Chef de pratique Leadership créatif et maitre d’atelier à la Factry, coach professionnelle, formatrice, conférencière et artiste, Chantal Gosselin met la somme de ses expériences variées au service de la créativité des équipes en entreprise. Issue de l’improvisation vocale, son approche personnalisée intitulée OUI ETᴹᴰ permet de développer les compétences nécessaires pour naviguer dans le changement continu dans le monde des organisations.

Pour vous, qu’est-ce qu’une personne, une équipe, une organisation créative?

Pour moi, une personne créative a la capacité de mettre ses aprioris de côté pour s’ouvrir à de nouvelles possibilités, tout en capitalisant sur ses connaissances et ses expériences passées. Elle est curieuse, à l’écoute, et elle se connait suffisamment pour déjouer le petit côté saboteur des pensées négatives et pour oser malgré tout, en se donnant la permission de voir et de faire autrement. C’est quelqu’un qui aime explorer, faire des liens entre des éléments qui peuvent de prime abord paraitre incompatibles ou loufoques.

La créativité d’une équipe est une des choses qui me fascine le plus, parce qu’elle implique un juste, et parfois fragile, équilibre d’aspects humains, techniques, contextuels, environnementaux, etc. Je dirais que, de façon générale, les membres d’une équipe créative ont réussi à développer leur qualité de présence, d’écoute et de bienveillance, tout en faisant preuve d’audace, d’un réel courage et d’une grande capacité à rebondir sur les idées des autres (voire à les confronter), dans le but de tirer le maximum de l’intelligence collective. Ça devient en quelque sorte un cycle vertueux: la sécurité psychologique qu’ils réussissent à installer leur permet d’élargir leur zone de confort… et les prises de risques qui sont bien reçues par l’équipe donnent ensuite envie d’oser davantage.

Une chose est sure, les équipes les plus créatives sont des équipes diversifiées qui ont su développer suffisamment de maturité pour se placer réellement au service d’un projet, d’une mission, d’une vision commune dans un espace de bienveillance. Elles sont aussi capables de «métacognition», notamment de communiquer sur la façon dont elles communiquent!

Finalement, une organisation créative est une organisation qui sait installer les conditions gagnantes. Un peu comme lorsqu’on allume un feu de foyer. Il y a une étincelle de départ (un objectif, une raison d’être) qui «allume» d’abord quelques parties prenantes, puis juste assez de structure pour encourager la flamme émergente qui a besoin d’air, de «nourriture», de patience (voire d’amour!) pour que le feu prenne dans l’ensemble de l’organisation. Et, comme pour les feux de foyer, il faut toujours y garder un œil pour s’assurer de garder la flamme bien vivante…

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous intéresser plus spécifiquement au rôle de l’écoute dans la créativité?

Quand je suis devenue gestionnaire, la notion d’écoute a pris une dimension additionnelle qui m’interpellait beaucoup: il ne s’agissait plus seulement d’écouter pour mieux collaborer, mais également d’écouter pour «faire grandir mon équipe».

Parallèlement, j’ai saisi l’ampleur de l’importance de l’écoute dans mon parcours d’artiste-chanteuse spécialisée en improvisation vocale. Me retrouver avec des chanteurs de différentes cultures et d’expériences musicales variées avec l’objectif d’improviser une œuvre devant public m’a rapidement fait prendre la mesure du caractère crucial de l’écoute dans la créativité et la cocréation.

Pour que l’œuvre ait du sens, il me fallait à la fois être à l’écoute de moi-même (instinct, autorégulation, courage), de mes collègues (intentions, propositions) et du public (énergie, adhésion, satisfaction) afin de lire les signaux de changements et de m’y ajuster constamment. Bref, écouter «viscéralement», à 360 degrés!

Ce sont ces nombreuses analogies entre ma pratique d’improvisation vocale et mon rôle de gestionnaire qui ont fait en sorte que j’ai créé l’approche OUI ETMD, basée sur le principe numéro un en cocréation.

Concrètement, de quelles manières l’écoute permet-elle l’émergence de la créativité?

L’importance de l’écoute se manifeste à tellement de niveaux! D’abord, toute entreprise existe pour créer de la valeur, pour répondre à des besoins. Or, afin de savoir de quoi les clients ont réellement besoin et d’y répondre de manière créative, il faut… les écouter! D’où, notamment, la grande pertinence de l’étape d’empathie en design thinking.

D’autre part, pour livrer cette valeur à leurs clients, les entreprises engagent des employés, font appel à des fournisseurs externes, etc. Ces parties prenantes sont souvent plus connectées que les hauts gestionnaires à la réalité changeante du terrain, aux défis réels des clients. Pour qu’une entreprise demeure pertinente, créative et innovante, il est impératif qu’elle écoute et qu’elle implique toutes ses parties prenantes. Combien d’entreprises ne font que les entendre à travers le prisme de leurs aprioris, sans réellement prendre le temps de les écouter «pour vrai»?

Sans compter que l’écoute réelle, jumelée à de saines pratiques de rétroaction et d’inclusion, est une des marques de reconnaissance les plus puissantes pour garder ses employés et ses collaborateurs motivés, engagés, prêts à offrir le meilleur d’eux-mêmes… dont leur créativité.

Écoute-t-on assez, et de la bonne façon?

À mon avis, on écoute rarement assez, et souvent pas de la bonne façon. J’ai appris, à travers ma pratique de coach professionnelle et mes expériences artistiques qu’une réelle écoute n’est possible que par une grande qualité de présence. Or, pour être pleinement présent, il faut, entre autres, être conscient de soi, pratiquer l’autorégulation et se sentir en sécurité. Voilà tout le travail et la difficulté de l’écoute!

Combien de fois écoute-t-on seulement pour se justifier, pour s’expliquer, pour faire valoir ses points, pour contrecarrer ceux des autres? Ça nous arrive tous. L’être humain a besoin d’être vu, entendu, reconnu et «d’appartenir» (en anglais, on dit to belong). Notre cerveau aspire à la sécurité et la certitude. De là découlent différents biais et comportements qui troublent souvent notre capacité d’écoute.

Je me rappelle avoir coaché une cliente qui parlait constamment. Au fil du temps, et avec la confiance qui s’est établie, elle en est arrivée à reconnaitre qu’elle était terrifiée par les moments de silence, aussi constructifs soient-ils. On sait si peu de choses de la réalité de l’autre…

Dans un autre ordre d’idée, une autre cliente me parlait récemment de la notion d’écoute équitable. Je trouvais ça intéressant car, en effet, si l’écoute réelle ne se manifeste continuellement que d’un côté, il est fort probable que l’envie et la façon d’écouter en soit affectées de l’autre.

Quel truc pouvez-vous nous donner pour nous aider à évaluer et à ajuster notre qualité d’écoute?

La première chose qui me vient à l’esprit est de développer sa conscience de soi, son intelligence émotionnelle, sa capacité à lire, entre autres, les changements de comportements chez son interlocuteur. Est-ce que la personne devant nous s’est «éteinte»? Est-ce qu’elle a perdu son enthousiasme, ne fait plus que prendre des commandes et contribuer au minimum de ses capacités? Ou, au contraire, est-ce qu’elle est en rébellion? Les comportements de notre interlocuteur parlent haut et fort de ses besoins (à écouter) qui se trouvent derrière.

D’où le deuxième truc: avoir le réflexe (et, parfois, le courage!) de valider des informations auprès de notre interlocuteur. «Je perçois X, est-ce que je me trompe?» Ou encore: «Si je comprends bien, tu souhaiterais implanter 1, 2, 3 en faisant ABC parce que ça permettrait XYZ, est-ce exact?» Prendre le temps de valider, plutôt que d’extrapoler à partir de notre système de pensées et de croyances, est non seulement une marque de respect envers l’autre, mais une source d’informations importante qui pourrait, justement, nous aider à être collectivement plus créatifs.

Je dirais que la troisième chose est de rester humble et curieux. Par exemple: «Je constate que tu reviens à nouveau avec cette idée. Il y a probablement des aspects que je n’ai pas encore bien saisis. Peux-tu m’expliquer ta vision, ton plan et en quoi ce serait important pour le bien du projet X?» Ce genre d’ouverture crée souvent de bien belles surprises, tout en solidifiant le lien de confiance et de complicité.

Comme chef de pratique Leadership créatif à La Factry, quelle partie du processus de formation ou d’accompagnement vous allume le plus, et pourquoi?

Oh, il y en a plusieurs! Je dirais assurément le briefing avec les clients. Mes collègues à La Factry pourront le confirmer: je pose beaucoup de questions pour creuser avec eux leur perception de leurs besoins. Ça doit être mon passé de stratège et de gestionnaire qui refait surface! Ça permet généralement de faire émerger des problématiques sous-jacentes qui, si on s’y attarde, permettront de répondre aux besoins initiaux plus facilement, et d’avoir plus d’impact.

En ce sens, je dois avouer que j’apprécie beaucoup le développement de programmes sur mesure, car ma propre créativité est à son apogée. J’aime faire des liens, visualiser l’impact d’une approche plutôt qu’une autre, m’assurer qu’on atterrit à la bonne place en termes d’apprentissages, faciliter le transfert dans la réalité, etc. Puis, le jour de l’atelier, j’adore mettre la table, installer le tapis de sécurité, allumer et nourrir le feu pour que la magie opère.

Personnellement, avez-vous un truc ou un rituel infaillible pour vous replacer dans un état d’esprit créatif même dans le tourbillon du quotidien?

Ah la bonne question! Mon travail est tellement créatif que je ne me la pose probablement pas assez souvent. Une chose est sure, je suis attentive à mon niveau d’énergie. Quand je commence à tourner en rond, je me dis: «OK. Qu’est-ce qui me ferait du bien en ce moment?» Souvent, ce sont de petites choses simples: me lever et expirer un bon coup, m’aérer les esprits en prenant une marche, appeler une amie, mettre de la musique à fond (et danser, ne serait-ce que le temps d’une chanson!) et, surtout, me reconnecter consciemment à pourquoi je fais ce que je fais. Ça, ça me redonne de l’énergie, et ça me replace dans un esprit créatif… parce que j’adore ce que je fais!

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